Fraudes à la CPAM : « Nous en sommes à 450M€ de fraudes détectées et stoppées»

Bruno Perchicot est, depuis le 1er février 2024, le nouveau responsable du service affaires juridiques qui comprend deux services : la lutte contre la fraude et le contentieux juridique. Aujourd’hui, il évoque ce phénomène qui prend de l’ampleur et contre lequel lui et ses agents luttent tous les jours au sein de la CPAM du Lot-et-Garonne.

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Quidam Hebdo : Bruno Perchicot, vous êtes responsable du service affaires juridiques à la CPAM, pouvez-vous d’abord nous présenter votre parcours ?

Bruno Perchicot : Je suis entré en fonction le 1er février 2024. J’ai un parcours assez riche. À la base, je suis du Pays-Basque et auparavant j’étais officier de gendarmerie. Je suis diplômé en droit pénal et en RH-management. J’ai principalement fait ma carrière en unité opérationnelle et unité de lutte contre la criminalité en section de recherche, notamment en police judiciaire. J’ai travaillé sur tout ce qui est terrorisme pendant une vingtaine d’années, la criminalité organisée, j’ai été dans les pays de l’est, au Kosovo… J’ai également commandé des unités de polices judiciaires et j’étais dernièrement en poste sur l’île de la Réunion, en charge de la côte est. J’ai également été dans les unités de haute montagne et dans le groupe de spéléologie de la gendarmerie.

Q.H : En quoi consiste votre poste aujourd’hui au sein de la CPAM du Lot-et-Garonne ?

B.P : Je suis responsable du service affaires juridiques, ce qui comprend deux services : la lutte contre la fraude et le contentieux juridique, tous les dossiers que nous emmenons au tribunal judiciaire ou au pôle social. La lutte contre la fraude fait partie des investigations et des enquêtes, ce qui reste dans ce que j’ai fait pendant une bonne partie de ma carrière.

Q.H : Aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques parlent aujourd’hui d’un nombre de fraudes à la CPAM grandissant, qu’est-ce qu’une fraude réellement ?

B.P : La fraude, c’est d’abord un fait illicite avec une intention de frauder avec un élément matériel, un élément légal c’est-à-dire le viol d’une loi et un élément intentionnel, car il n’y a pas que des fraudes, il y a aussi des fautes. Par exemple, une erreur d’un professionnel de santé, ce qui peut arriver. Dans ces cas-là, nous les recevons, les entendons et ils nous disent bien souvent « voilà, effectivement j’ai fait une faute » et il n’y a pas systématiquement de poursuites. C’est un phénomène qui prend de l’ampleur. En 2023, il y a eu 450M€ de fraudes détectées et stoppées sur le territoire par l’Assurance Maladie. C’est le résultat notamment d’un renforcement des contrôles et des moyens humains et techniques. Nous avons à peu près 1500 agents dédiés à la fraude à l’échelle nationale et bientôt, 300 nouveaux agents vont être recrutés d’ici à 2027 sur le territoire national. En Lot-et-Garonne, nous sommes une dizaine d’agents. On se rend compte qu’il y a de plus en plus de fraude car aujourd’hui, avec internet les gens, seuls ou parfois en bande organisée, font de plus en plus de faux arrêts de travail, des faux bulletins de salaires, vendus souvent sur les réseaux sociaux sur des sites que nous nous attelons à repérer et à démanteler. En 2024 justement, la CPAM va créer 60 postes de cyber-enquêteurs.

Q.H : C’est un montant énorme, s’agit-il seulement de fraudes venant des assurés ?

B.P : Sur les 450M€ de fraudes enregistrés, 20% seulement viennent des assurés soit 91M€. Le reste, à hauteur de 350M€ vient des professionnels de santé et 45M€ des établissements de santé. Par exemple, un pharmacien qui va facturer plusieurs fois à la même personne des médicaments, un kiné qui va demander remboursement à la CPAM pour 30 séances tandis que vous n’en avez en réalité eu que 20. Un médecin ou un infirmier qui fraude va par exemple vous avoir vu deux fois dans la semaine et demander cinq remboursements… Au niveau national, nous avons donc des logiciels qui détectent s’il y a de gros écarts de chiffre d’affaires entre différents professionnels de santé. Nous avons une moyenne nationale et des fois, certains sont satellisés par rapport aux chiffres réels, il n’y a zéro limite.

Q.H : Quels sont les moyens dont vous disposez pour détecter et lutter contre ce phénomène ?

B.P : Il existe différents types de détection qui vont nous permettre de relever les fraudes. Soit ce sont des assurés qui signalent une fraude, en démasquant une collègue qui est censée être en arrêt maladie et qui travaille ailleurs, qui fait du travail au noir. Soit il va s’agir d’un employeur qui va nous contacter pour dénoncer son salarié qu’il a repéré travaillant ailleurs ou une suspicion d’un faux arrêt maladie soit il va s’agir des professionnels de santé. Cela nous arrive par exemple que des pharmaciens nous signalent quelque chose ou autres. Cela également peut-être également d’autres organismes comme la Caf avec qui nous travaillons ou bien la police et la gendarmerie qui peuvent être amenées à contrôler des gens par exemple sur des enquêtes lambda ou par le réseau qu’ils peuvent avoir. Nous avons donc 1500 agents dédiés. Nos agents sont des agents agréés et assermentés. Nous pouvons donc réaliser des investigations que nous appelons en chambre si elles sont réalisées ici, à la Caisse, ou sur le terrain. Nous avons aussi des audienciers, comme des avocats de la Caisse, qui vont défendre les dossiers aux tribunaux face aux assurés. Nous avons aussi des logiciels de détections suivant les détections que nous recherchons. La curiosité des services aussi, puisque tous les services travaillent aussi dessus, par exemple les agents qui saisissent les arrêts et qui remarquent un arrêt mal fait, avec des ratures…Les cyber enquêteurs qui vont être créés et dont la mission sera de détecter les fraudes émergentes sur les réseaux sociaux. Et puis il y a nos enquêtes que nous réalisons sur le terrain. Mais c’est un travail de longue haleine, sur le Lot-et-Garonne seulement, ce sont déjà des milliers de feuilles qui passent dans les services tous les jours.

Q.H : Une fois que la fraude est signalée ou détectée, comment cela se passe-t-il ?

B.P : Lorsque l’on nous signale une possible fraude, nous allons d’abord appeler le professionnel de santé qui a établi l’arrêt de travail qui lui va nous dire si c’est bien le cas ou non. Par exemple, la semaine passée nous avons reçu une dame pour faux arrêt maladie et faux bulletin de salaire. Nous avons donc appelé le médecin qui nous a tout de suite dit « Ah non, cette dame je ne l’ai jamais vue. » Même méthode pour les bulletins de salaire, nous avons contacté l’entreprise qui nous a dit « non cette dame n’a jamais travaillé chez nous. » Et pourtant, la dame nous a maintenu que le médecin et l’entreprise avaient oublié de la déclarer…C’est fou. Certains professionnels de santé nous font croire qu’ils travaillent 24 heures dans une journée, qu’ils voient 90 patients… Une fois que la fraude est prouvée, il y a deux situations. Soit la fraude n’a pas encore été payée et le dossier part au pénal pour faux et usage de faux soit si les sommes ont été perçues avant que nous détectons la fraude, nous notifions en plus un indu : « vous nous devez tant » ainsi que des pénalités financières. Du côté des professionnels de santé il peut y avoir des poursuites pénales et des notifications de notre part mais aussi ils risquent d’être déconventionnés par l’Assurance Maladie pour les remboursements ou même cela peut aller jusqu’à des radiations des ordres. Par exemple en 2023, 101 professionnels à l’échelle nationale ont été déconventionnés, un chiffre qui a doublé.

Q.H : Quels sont désormais les objectifs à atteindre ?

B.P : À l’échelle nationale, la priorité de mobilisation est aujourd’hui sur les contrôles de centres de santé avec 200 centres contrôlés en 2021 pour 21 déconventionnés en 2023.

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