Portrait. Joël Benays, une vie de souvenir sur le Boulevard

Figure incontournable de la restauration villeneuvoise, Joël a traversé les quatre dernières décennies au sein des établissements emblématiques du boulevard Georges-Leygues avant de monter sa propre affaire.

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Ils ne sont pas si nombreux à connaître son patronyme. Son prénom et son visage, en revanche, sont presque gravés dans le marbre villeneuvois. Pour les habitués du boulevard Georges-Leygues, Joël, Benays de nom de famille, semble avoir toujours été là. « Je ne dois pas être loin d’être le plus vieux du quartier », s’amuse-t-il en faisant les comptes. C’est bien simple, il faut remonter à 1987 pour trouver l’année où le jeune Joël est apparu sur l’artère.

Un rendez-vous manqué, un autre fondateur //

« J’ai commencé par faire des études de pâtisserie, mais je n’ai pas eu mon diplôme », raconte Joël. Un peu perdu dans son orientation, le jeune homme obtient un petit coup de pouce du destin. Son père, soigneur au sein de Villeneuve XIII était très ami avec un autre treiziste, un certain Antoine Guiliano. Celui-ci n’était autre que le patron du Glacier, peut-être l’établissement le plus en vogue de la Bastide. « Il a confié à mon père qu’il cherchait un serveur. Ce à quoi mon père a répondu : « Il est devant toi ». Je n’y connaissais rien, je lui ai dit qu’il était fou », glisse Joël. Il a 18 ans en cette année 1987 et se retrouve jeté dans le grand bain, sans avoir le temps de se mouiller la nuque.

Une passion rapidement dévorante //

« Les débuts ont été difficiles, mais sans que je parvienne vraiment à l’expliquer, j’ai tout de suite adoré ! » Comme souvent, on s’épanouit là où l’on brille. Fort d’un grand sens du contact client, Joël s’est vite senti comme un poisson dans l’eau dans cet environnement particulièrement exigeant. Tel un marathonien, le serveur a parcouru un nombre incalculable de kilomètres plateau en main, des distances qui n’avaient d’égales que le volume horaire démentiel de son activité.

Glacier, Régent, Torto, Glacier, Torto… D’une adresse à l’autre //

Joël n’a jamais été l’homme d’un seul établissement. « J’ai fait mes armes avec Antoine Guiliano au Glacier. Il m’a appris le métier et je suis resté à ses côtés jusqu’à ce qu’il vende au tout début des années 2000. Il y avait une vraie complicité, la même vision, les mêmes valeurs », souligne Joël. Son mentor parti, il passe quelque temps avec ses successeurs sans y trouver vraiment son compte. Il démissionne donc pour rejoindre, à quelques dizaines de mètres de là, le Régent, une affaire familiale tenue par une autre personnalité emblématique, Guy Troupel ainsi que son épouse Jocelyne. Le besoin d’air se faisant sentir, Joël prend ensuite un peu de recul vis-à-vis de Villeneuve et part faire quelques saisons, l’hiver dans la station de ski de Piau-Engaly et l’été dans le joli village périgourdin de Cadouin. « En prenant la route, je passais tous les mardis au Tortoni. Le gérant Denis Firmin et sa fille Isabelle, des gens vraiment très respectueux, m’ont mis à l’essai. » Autant dire qu’avec son expérience, l’hésitation n’était pas vraiment de mise. Ce retour sur le boulevard Georges-Leygues s’avère être le bon, mais pas le dernier changement de crémerie. Comme avec Antoine Guiliano, Joël a plié bagage lorsque Denis Firmin a vendu. Il repasse alors la porte du Glacier avec les frères Carrère puis revient encore, quelques années après, au Torto’ sous la direction d’Alain Thouvenot. Mais quelle que soit sa bannière, le serveur reste loyal à sa clientèle et conserve tout le respect et l’affection de ses différents patrons.

L’émancipation //

Il n’est jamais trop tard pour lancer son business. Joël en est la preuve vivante. Il y a environ sept ans, il pose le tablier pour un job alimentaire à l’usine. « J’avais mon idée derrière la tête », confesse-t-il malicieusement. Ce temps passé à faire quelques sous lui a permis de réaliser son rêve en 2019, en rachetant Thé chez toi, rebaptisé Thé chez Joël. « Après toutes ces années, j’avais envie de travailler enfin pour moi et non plus pour les autres. C’était aussi une manière d’être un peu plus fier de moi en relevant ce gros défi personnel. » Bien qu’ouvert juste avant la crise Covid, son établissement est resté debout. « On fait ce qu’on peut, avance-t-il avec la modestie qui le caractérise. On fait notre petit bonhomme de chemin, sans vouloir grandir de trop, avec une recette très simple. » Sur sa petite terrasse, été comme hiver, on retrouve principalement des fidèles dont on se dit qu’ils sont avant tout là pour Joël… qui le leur rend bien. « C’est important de bichonner ses clients, de les faire se sentir comme dans un cocon. » Cet audacieux choix de carrière, à un stade aussi avancé, l’oblige à travailler 7j/7, avec deux petits après-midi de repos en tout et pour tout. Joël arrive dès potron-minet pour préparer ses croissants et reçoit ses premiers clients entre 6h et 7h du matin. Un rythme intense mais pleinement assumé… Le remboursement du crédit est pour l’an prochain, la retraite pour 2028. « Certains pensent que je vais arrêter mais non ! Je suis trop bien sur le boulevard pour le quitter comme ça. Mais je prendrai sûrement un peu plus de vacances ! »

Des souvenirs plein la tête d’une époque formidable //

En presque quarante ans de métier, quasi intégralement passés au pied de la tour de Paris, il a vu et vécu quantité de moments mémorables. Bon nombre d’entre eux ne peuvent se raconter, mais donnent inévitablement le sourire à celui qui a eu la chance d’en être le témoin. Pas « vieux con » pour un sou ni nostalgique outre mesure, Joël porte néanmoins un regard attendri sur ces périodes révolues : « On a traversé des époques incroyables avec des personnalités très fortes, on s’est vraiment beaucoup amusés. Tout le monde s’entendait très bien sur le boulevard, on s’entraidait en permanence. On baissait le rideau à 2h voire 3h du matin, il fallait pousser les gens pour qu’ils sortent. On poursuivait dans les boîtes de nuit de la ville qui étaient nombreuses jadis. Des fois, on retrouvait la terrasse du Tortoni au Glacier et inversement. Il y avait les rugbymen, les volleyeurs et plein d’autres clubs de sport qui venaient faire la bringue… C’était intense, d’autant qu’on était toujours fidèle au poste le lendemain matin. Heureusement, on s’est un peu assagis. Mais on garde tous contact, y compris les saisonniers. Dès que l’on peut, on se retrouve ! »

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