Énergie : des projets photovoltaïques gelés pour des entreprises en détresse

Depuis plusieurs mois, de nombreux projets d'installations solaires ne peuvent pas voir le jour en Lot-et-Garonne. En cause, des infrastructures limitées mais pas seulement.

0 Shares

À l’heure où le dérèglement climatique sévit, la quête d’une production énergétique plus vertueuse agite les esprits. Le « mix » visé se veut moins carboné et plus renouvelable. À ce jeu-là, le photovoltaïque a des arguments à faire valoir. Sa promotion est même assurée par l’État et les collectivités territoriales, qui en vantent les mérites. Seulement voilà, en Lot-et-Garonne, la filière est en train de prendre un sacré coup d’arrêt. Si les particuliers sont préservés, les nouvelles installations chez les professionnels sont presque à l’arrêt. La réponse est à chercher du côté des gestionnaires du réseau : Enedis pour la distribution d’électricité et RTE pour son transport.

Une amélioration lente des infrastructures…

La capacité du réseau à recevoir et acheminer du courant électrique jusqu’aux utilisateurs fi naux est limitée par ses infrastructures. Les postes sources, équipés de transformateurs pour encaisser de très hautes tensions, sont au cœur du dispositif. On en recense actuellement 17 dans le département. Les liaisons aériennes et souterraines sont aussi déterminantes. Le S3REnR (schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables) de Nouvelle-Aquitaine détaille tous ces équipements. RTE et Enedis ne manquent pas de souligner « une dynamique forte de raccordement des énergies renouvelables ces dernières années » dans notre département. Cela implique des travaux de renforcement en certains endroits et des créations de nouveaux ouvrages ailleurs, afin de gagner quelques mégawatts de production. Comme on peut l’imaginer, ces dossiers sont lourds, administrativement et financièrement, donc très longs à mener (voir ci-après).

face à une filière très dynamique

Sauf qu’en attendant, les acteurs de la filière photovoltaïque multiplient les projets. C’est le cas par exemple de la Sem Avergies. Cette société d’économie mixte, rattachée au syndicat Territoire d’énergie Lot-et-Garonne, crée et exploite des centrales solaires de différentes tailles partout en Lot-et-Garonne, en louant des toitures d’entreprises privées ou de collectivités. « De nombreux projets ne peuvent actuellement pas voir le jour. Comme il n’y a pas de convention de raccordement, on ne peut pas attaquer les travaux », explique Nicolas Gente, le directeur d’Avergies. Les installateurs privés sont exactement dans le même cas. « Plusieurs d’entre nous ont des millions d’euros déjà commercialisés qui sont gelés en attendant que la situation ne se débloque. C’est extrêmement inquiétant parce que ça fi ge toute l’activité », indique un professionnel.

Des conséquences en cascade

Une véritable épée de Damoclès traîne au-dessus de la tête de ces établissements qui ont connu une très forte croissance au cours des dernières années. Payer toutes les charges quand les recettes fondent comme neige au soleil est un pari que certains ne peuvent se risquer à prendre. Des réductions d’effectifs sont déjà dans les tuyaux et d’autres conséquences en cascade sont à prévoir. « Nos clients font parfois construire des bâtiments spécifi quement pour accueillir des panneaux solaires en misant sur les économies d’énergie grâce à l’autoconsommation et les reventes de surplus. S’ils ne peuvent pas être raccordés, ils ne construiront rien, impactant de fait le carnet de commandes des entreprises du bâtiment et de terrassement. C’est toute une chaîne », poursuit un autre entrepreneur. Quant à ceux qui ont déjà investi, ils se retrouvent eux aussi dans une grande difficulté financière. « On a des agriculteurs qui ne savent pas comment ils vont pouvoir rembourser leur emprunt… », déclare Henri Tandonnet, 1er vice-président à l’Aglo d’Agen Les collectivités sont elles aussi frappées de plein fouet avec des dossiers à l’arrêt comme à Prayssas, où la municipalité souhaitait faire de l’autoconsommation partagée entre plusieurs bâtiments.

Aucune anticipation possible

Le sujet est très sérieux, d’autant plus qu’aucun acteur concerné n’a pu anticiper ce brutal ralentissement de leur business. Le « pot aux roses » a été découvert il y a quelques mois seulement. Certains doivent instantanément revoir leur stratégie de développement. La seule petite éclaircie, qui durera qu’un temps et ne concerne pas tout le monde, réside dans l’éventuel matelas de trésorerie et le décalage temporel entre signature et travaux. « Les chantiers que nous menons aujourd’hui sont des projets déjà bouclés avec des raccordements sécurisés. Mais il nous faut des réponses rapidement pour la suite », souligne Nicolas Gente.

« Libérer de la puissance »

Le syndicat Territoire d’énergie Lot-et-Garonne estime que « le problème est grave, voire explosif ». La situation exige une mobilisation générale, c’est pourquoi de très nombreux élus, l’association des maires, les chambres consulaires et d’autres organismes ont été mis dans la boucle. « Notre président Jean-Marc Causse qui est aussi le maire d’Aubiac a découvert le problème lorsqu’un agriculteur ayant financé un hangar l’a sollicité car il ne pouvait pas raccorder son installation. Derrière, ce fut une tache d’huile avec des courriers de refus en rafale. On pensait au départ que ça touchait un seul poste source, mais c’est en réalité tout le département qui est saturé. Enedis et RTE auraient dû nous prévenir en amont », lance le directeur général des services de TE 47.

Sur les 3000 MW de capacité, 500 sont en service et 1700 sont réservés pour le gigantesque projet de ferme solaire sur le territoire des Côteaux et Landes de Gascogne, qui est un cas bien particulier. Il reste donc 700 MW théoriquement disponibles mais là aussi réservés. « L’enjeu est de pouvoir faire le tri là-dedans : savoir quels sont les projets mûrs avec des permis de construire à qui il faut faire de la place, et ceux qui finalement bloquent tout sans perspective. Selon nos estimations, on devrait pouvoir dégager 300 à 400 MW », glisse Jérôme Queyron.

Seule cette méthode peut sauver la filière à court et moyen terme. Le S3REnR est en cours de révision. Le processus dure 2 ans, ce qui signifie une validation en mars 2027. La construction des nouvelles infrastructures prendra ensuite des années. « Le dernier schéma a été finalisé en 2021 et les derniers investissements se finiront en 2031… Les trois postes sources dont la construction est programmée sont déjà saturés », révèle Territoire d’énergie. Un travail d’analyse est prévu prochainement avec la DDT, en espérant des débouchés rapides. « On peut considérer qu’il y a une attaque en règle contre le photovoltaïque. On ne peut pas ouvrir les vannes puis les refermer subitement, ça n’a aucun sens. Ce sont des dossiers structurants sur le long terme. Il faut une stratégie claire et de la programmation. La production d’énergie solaire est un atout pour la transition écologique et crée une dynamique de circuits courts en plus de constituer un écosystème économique. » 

Quelles solutions ?

L’une des bonnes questions à se poser dans cette affaire, c’est de savoir qui occupe ce réseau saturé. Le S3REnR tient compte à la fois des installations déjà raccordées et en fonctionnement mais aussi d’une part très majoritaire de « réservations » dont certaines concernent des projets très hypothétiques. « Certains gros projets ont réservé beaucoup de puissance sans même avoir de permis de construire », glisse Nicolas Gente. Pas de permis et pas non plus de modèle de financement viable à ce jour. Il n’y a donc aucune certitude de voir ces centrales sortir de terre dans un avenir proche. Les petites et moyennes installations, qui peuvent être pleinement opérationnelles en l’espace de quelques mois, en pâtissent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

+ 60 = 61