
Quidam Actu : Vous êtes aujourd’hui directeur des Archives départementales de Lot-et-Garonne. D’où venez-vous ?
Stéphane Capot : Je suis né à Condom, donc je suis Gersois. Ma mère est Gersoise, mon père Lot-et-Garonnais. Ce lien familial m’a naturellement rapproché de ce territoire, que je connais depuis toujours et auquel je suis très attaché.

Quidam Actu : Racontez-nous un peu votre parcours. Comment ce double ancrage a influencé votre trajectoire ?
S.C. : Mes parents ont toujours travaillé à Toulouse, c’est là que j’ai été scolarisé. Mais ils ne se sont jamais vraiment acclimatés à la ville, donc on rentrait tous les week-ends et pendant les vacances en Lot-et-Garonne. Je jouais au basket à l’époque, entre huit et seize ans, ce qui m’a permis de sillonner les villages du département. Cette double culture, entre la ville et la campagne, m’a marqué. J’ai grandi très proche de mes grands-parents, ce qui a nourri ma sensibilité pour la transmission, les histoires de famille, les langues régionales… Je comprenais le patois, sans vraiment le parler. C’est de là qu’est née mon attirance pour les mots, les accents, les sonorités.
Q.A. : D’où vous vient cette envie de conserver les traces du passé ?
S.C. : Petit à petit, j’ai pris conscience du passage du temps, des générations qui se succédaient. Je me suis demandé : « Qu’est-ce qui reste ? » Il y a la mémoire familiale, locale… mais aussi une mémoire plus large, celle de notre région, de notre pays. J’ai toujours été attiré par l’histoire. Déjà en sixième, avec l’Égypte ancienne, j’étais fasciné. Et puis je me suis dit : même ici, localement, il y a des choses à creuser. Tout n’est pas expliqué. Et c’est cette envie d’aller plus loin qui m’a toujours guidé.

Q.A. : À quel moment avez-vous su que vous vouliez travailler dans les archives ?
S.C. : Jusqu’au lycée, je pensais que l’histoire resterait un loisir. Je faisais de la généalogie, je m’interrogeais sur les noms de famille, les lieux, leur signification. Puis j’ai découvert l’École nationale des Chartes, à Paris. On pouvait s’y préparer en classe prépa, notamment à Toulouse. J’ai tenté ma chance et c’est comme ça que j’ai intégré cette voie et que je me suis formé au métier.
Q.A. : Qu’est-ce qui vous anime après tant d’années à la tête des archives départementales ?
S.C. : La transmission. Être au service du public, d’abord des Lot-et-Garonnais, mais aussi de tous ceux qui ont des racines ici, même s’ils vivent à l’autre bout du monde. Certains descendants de protestants, par exemple, cherchent encore aujourd’hui à retracer leurs origines à travers nos fonds. C’est ça qui me motive : rendre la mémoire accessible, aider à comprendre d’où l’on vient.
Q.A. : À quoi ressemble une journée type dans votre métier ?
S.C. : Il n’y a pas de journée type ! C’est un travail d’équipe. On est 25 et chacun a ses missions : archives électroniques, iconographiques, sonores, etc. Pour ma part, c’est beaucoup de réunions, de décisions sur la restauration ou la numérisation des documents, la préparation de conférences, de collaborations avec d’autres institutions.
Q.A. : Comment voyez-vous l’évolution des archives dans les années à venir ?
S.C. : Les archives, c’est comme le vin : elles prennent de la valeur avec le temps. Aujourd’hui, on conserve des documents liés aux Gilets jaunes, au Covid… qui dans dix ou vingt ans deviendront essentiels pour comprendre notre époque. Ce qui change aussi, c’est l’intérêt croissant pour l’intime. Les chercheurs ne veulent plus seulement des documents institutionnels, mais aussi des journaux intimes, des récits de vie. On parle d’“ego-histoire” : comment les gens racontent leur propre quotidien. On conserve même des écrits personnels du XVIᵉ siècle ! Ces témoignages sont précieux pour saisir la sensibilité d’une époque.
Q.A. : Si vous pouviez dîner avec une figure historique emblématique du Lot-et-Garonne, qui choisiriez-vous ?
S.C. : Je choisirais une femme, la comtesse Marie de Raymond. C’est une figure extraordinaire. Elle est morte en 1886, ne s’est jamais mariée, n’a pas eu d’enfants, mais elle a consacré sa vie à l’histoire du Lot-et-Garonne. Pendant plus de 40 ans, elle a recopié ou fait recopier des documents anciens, certains aujourd’hui disparus, en allant dans les familles, les cercles érudits. Elle a tout légué au département, y compris une dotation pour que ses archives soient conservées dans leur ensemble. Ce fonds est d’ailleurs conservé dans le bureau du directeur, celui où je travaille chaque jour. Elle ne me parle pas directement, bien sûr, mais à travers ses écrits, elle me parle quand même. Et j’aurais aimé pouvoir échanger avec elle, le temps d’un dîner. Elle a transmis quelque chose de très fort, et aujourd’hui encore, elle nous enseigne l’importance de préserver et de partager ce qui compte.
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