
Après deux bonnes années de travaux, le « créneau de Monbalen » s’est ouvert aux automobilistes le 11 août dernier, dans la relative discrétion de la haute saison estivale. Il faut dire que cet ouvrage suscite quelques polémiques auprès d’administrés pas toujours très convaincus de son utilité. Sur les réseaux sociaux, les commentaires se multiplient autour de cette actualité et font écho à certains avis déjà déposés sur les concertations d’enquête publique plusieurs années auparavant. « Ce n’est pas sur cette partie que l’on rencontre le plus de difficultés de circulation », « chacun jugera de l’intérêt de ces 2 km de 2×2 voies, ayant artificialisé 5 hectares de terres agricoles pour 36 M€, afin de gagner officiellement… 30 secondes de temps de trajet », « des bouts de ficelle pour aboutir à un tronçon qui ne rime à rien tant qu’il n’est pas relié directement à la rocade de Foulayronnes, mais là, il y en a pour vingt ans de plus »… Voilà le genre de choses que l’on peut lire ici et là. Ces critiques sont-elles justifiées ?

Un dossier lancé en 2009 //

Patrick Cassany, ancien maire de Villeneuve, président de la CAGV et vice-président du Conseil départemental aux côtés du président Pierre Camani, retrace dans une publication les moments décisifs au cours de l’année 2009 qui ont mis sur les rails la construction du créneau de Monbalen. Dès le mois de février, des entretiens avec le préfet de région de l’époque et son homologue lot-et-garonnais. « Le vendredi 6 février, le préfet de région, confortablement assis dans un fauteuil du salon et cigarette à la main, nous a indiqué que trois projets d’aménagement routier mériteraient d’être inscrits en priorité dans le futur Plan de développement et de modernisation d’itinéraire (PDMI) : la rocade ouest de Bordeaux, la RN134 entre Pau et Oloron et la RN21 entre Villeneuve et Agen. Il nous a indiqué que l’État demanderait aux collectivités locales de participer à hauteur de 40 % », raconte l’ancien élu socialiste. L’enjeu était de convaincre l’assemblée départementale d’accepter cette participation même si cela ressemblait à « une forme de chantage de la part de l’État », afin d’éviter que « l’aménagement de la RN 21 ne se fasse jamais. » Dans la foulée, de nouvelles réunions avec le maire d’Agen Jean Dionis ont permis de sceller une union autour de ce dossier, « une union remarquée et entendue ». Le 18 juin 2009, le projet est bien inscrit au PDMI. « Il s’agit d’une très bonne nouvelle pour le Villeneuvois même si toutes les propositions mises n’ont pas été retenues. Dans le cadre de ce PDMI, L’État a donc décidé de réaliser la mise en 2×2 voies du créneau de Monbalen et de la déviation de la Croix Blanche », relate Patrick Cassany. Devant l’inertie administrative et la flambée des coûts, la seconde partie du chantier sera abandonnée, se limitant donc à ces seuls 2100 mètres à Monbalen. « Il aura donc fallu attendre 16 ans et de nombreuses péripéties pour que ce nouveau tronçon, sur la seule route nationale dans le département, soit enfin réalisé ! »

Chronologie des travaux sur la RN21 Agen-Villeneuve //
Mai 1997 : Déviation de La Croix-Blanche
Septembre 2001 : Échangeur Nord de La Croix-Blanche, dit échangeur de Lacarreterie
Juin 2010 : Rectification des virages de Pujols et déviation de Saint-Antoine-de-Ficalba
Septembre 2019 : Accès sud à Villeneuve-sur-Lot
Août 2025 : Rectification entre Monbalen et Saint-Antoine-de-Ficalba
Accidentologie //
Sur l’ancien tracé de la RN21 entre le giratoire des Garrostes à Saint-Antoine-de-Ficalba et le nouveau giratoire de Monbalen, l’Observatoire national interministériel de la Sécurité routière (ONISR) recense 6 accidents entre 2014 et 2023 (dernière année officielle). D’autres s’ajoutent à cette liste.
- 29 septembre 2022 : accident mortel impliquant 3 véhicules dont un bus et un utilitaire. Le chauffeur de ce dernier est décédé. 9 occupants du bus ont été blessés. Les deux chauffeurs, dont celui décédé, présentaient des analyses toxicologiques positives.
- 27 novembre 2024 : trois véhicules impliqués, 3 blessés (28, 71 et 28 ans).
- 21 décembre 2023 : un véhicule impliqué, un blessé (22 ans).
- 25 mai 2023 : deux véhicules impliqués, deux blessés hospitalisés (34 et 64 ans)
- 20 septembre 2022 : un véhicule impliqué, un piéton blessé (73 ans)
- 13 septembre 2020 : un véhicule impliqué, un blessé (23 ans).
- 13 décembre 2019 : un véhicule impliqué, un blessé (50 ans).
- 7 décembre 2018 : deux véhicules impliqués, deux blessés (28 et 45 ans).
D’autres accidents dramatiques sont survenus ces dernières années au nord et au sud du créneau de Monbalen mais dans des zones non concernées par les travaux dont il est question ici. Ceci étant dit, la RN21 reste un axe accidentogène qui a coûté la vie à plusieurs personnes.
Ce qu’en pensent les élus //
Gilles Charollais, maire de La Croix-Blanche
« C’est une très bonne chose car c’est un maillon qui manquait. L’enjeu n’était pas tant de gagner quelques minutes sur le trajet Agen-Villeneuve mais de sécuriser un axe accidentogène où passent 14 000 véhicules par jour, de permettre à des riverains de sortir de chez eux sans s’exposer directement à la RN 21, et de protéger un peu plus la dangereuse intersection avec la route de Laroque-Timbaut. Il est difficile d’imaginer ce que c’est que d’être maire et d’aller ramasser des morts sur la route. Là, au moins, il n’y a plus de risque que deux véhicules se percutent de front. Si l’on veut aborder la question du coût, il faut prendre conscience que si les crédits d’État ne vont pas chez nous, sur cette route en l’occurrence, ils iront ailleurs dans un autre département. Autant que l’on s’en serve pour moderniser nos équipements. Bien sûr, on peut considérer qu’il aurait mieux valu améliorer l’axe existant, que le contournement d’Artigues est plus prioritaire… Mais tout cela a été validé il y a plus de quinze ans, avec d’autres élus aux manettes. Une fois que c’est lancé, on se doit d’aller au bout, sans quoi on serait reparti sur des années d’études, d’enquête publique, etc. Et on aurait menacé la suite du tracé. Non, il faut tourner cette page. »
Arnaud Devilliers, conseiller départemental du canton Pays de Serre
« À partir du moment où le tronçon est ouvert, il est un peu tard pour se poser la question de la pertinence du projet. Oui, il aurait été plus utile d’avoir une 2×2 voies tout le long du trajet entre Agen et Villeneuve. Mais il est illusoire de penser que c’était possible en l’état des finances publiques, même à l’époque des premières réflexions. De ce fait, on se contente de pis-aller. Il y a un gain de sécurité, donc si ça peut sauver des vies, c’est que ça valait le coup. À mon sens, cela reste une bonne nouvelle. Cela peut aussi être vu comme très cher au vu du résultat qui, de surcroît, ne change pas foncièrement l’enclavement du Villeneuvois. C’est toute la difficulté du décalage temporel entre les décisions et la réalisation de ces lourdes infrastructures. Les situations changent, on traverse des périodes de transition. Du point de vue de n’importe quel décideur public, aucun projet coûteux ne peut faire l’unanimité. Il y a des règles et des procédures, elles ont été respectées, elles s’appliquent. On ne peut pas toujours tout remettre en question. »
Daniel Borie, vice-président du Département en charge de l’aménagement du territoire et des infrastructures
« On parle ici d’un vieux serpent de mer, repris par des candidats de tous bords, élections après élections. Alors pour une fois que les politiques tiennent leurs promesses sur une telle durée, il faut le saluer. On a pris le train en route, on a subi les pressions politiques agenaises pour que Camélat passe avant, mais on a amené ce dossier au bout pour ne pas trahir les engagements pris précédemment. Pour ma part, je reste un peu circonspect. Le coût me semble prohibitif. Au final, ça fait cher la minute gagnée. Je regrette aussi que les collectivités locales, notamment le Département, soient autant mis à contribution sur une route nationale. Néanmoins, les choses sont ainsi faites. Tout le monde a été consulté dans les règles, tout le monde a eu l’occasion de se faire entendre. Se réveiller après la guerre, c’est un peu facile. »
Christelle Prellon, maire de Monbalen
« Je reconnais l’importance des travaux de la RN21, un axe structurant pour notre territoire, trop longtemps privé d’alternative ferroviaire. Ce projet répond à des enjeux de mobilité à l’échelle départementale et régionale. La sécurité et la fluidité du trafic ont sans doute pesé lourd dans les décisions. Je comprends aussi parfaitement les critiques exprimées par certains Lot-et-Garonnais. Il est vrai que le gain de temps est relativement limité et que l’impact environnemental, avec l’artificialisation de terres agricoles, est une question centrale aujourd’hui. Le montant de 36 M€ questionne aussi, à l’heure où l’État appelle chacun à faire preuve de sobriété budgétaire même s’il faut rappeler que ces travaux étaient en étude depuis des décennies. En résumé, on peut légitimement s’interroger sur le rapport entre le coût engagé et les bénéfices concrets pour le quotidien des habitants. Par ailleurs, pour ma commune, l’intérêt est très limité. Les nuisances, les expropriations et l’absence de signalisation de Monbalen nous laissent surtout un sentiment d’abandon. La baisse du trafic sur l’ancienne RN21 ne compense pas les inconvénients subis localement. S’il n’est pas possible de revenir en arrière, je pense que ce dossier peut servir d’exemple : l’aménagement du territoire doit être pensé en intégrant mieux les enjeux environnementaux, l’utilité réelle pour les habitants et le respect des communes concernées. Cela permettrait d’éviter que certaines populations aient le sentiment de subir des projets plutôt que d’en être bénéficiaires. »
En off //
Dans les coulisses, certains élus et observateurs privilégiés de cette opération d’ampleur ne cachent pas leur désarroi. Parce qu’ils ont, pour quelques-uns, participé au financement, il leur est difficile d’exprimer publiquement un sentiment de « gâchis d’argent public », ou du moins une « inversion des priorités ». À l’image du contournement des virages de Pujols ou de la portion RN1021 entre Foulayronnes et Colayrac, récemment prolongée par le pont de Camélat, le contournement d’Artigues semblait bien plus important pour ces responsables politiques locaux désabusés. Leur malaise est d’autant plus grand que le grand coup de frein qui s’impose en matière de dépense publique risque bien de « renvoyer aux calendes grecques » cette partie de RN21 qui traverse pourtant le cœur d’un village.
Une aubaine pour les cyclistes ? //
Si le collectif Villeneuvois à Vélo, présidé par Adrien Chaud, n’est pas le plus fervent défenseur du nouveau créneau de Monbalen, il n’en réfléchit pas moins à la manière de tirer bénéfice de la situation. La route à 3 voies jusqu’alors empruntée, et dont l’enrobé a été refait, devrait voir son trafic drastiquement diminuer, se limitant principalement aux riverains et habitants de la commune ainsi qu’aux usagers en provenance et à destination de Laroque-Timbaut. Devant ce constat, l’association a milité depuis plusieurs années pour « un grand virage en faveur des mobilités douces, afin que cette construction d’une nouvelle route vienne également désenclaver et aider au développement du vélo dans le secteur ». Concrètement, cela signifie reprendre l’une des trois voies pour en faire une grande piste cyclable, se raccordant côté Nord aux contre-allées des « virages de Pujols ». Au Sud, deux liaisons, complémentaires l’une de l’autre, sont envisagées. La première assurerait la jonction Monbalen Laroque-Timbaut, puis de Laroque jusqu’à la voie verte Bajamont – Agen. Cette « véloroute du Pays deSerres » est censée former un « itinéraire cyclable à intérêt touristique majeur ». La seconde voit à plus long terme puisqu’elle doit attendre les travaux de la RN21 Agen-Nord (déviation d’Artigues). Le collectif parle ici d’une « liaison cyclable à haut niveau de service » via La Croix-Blanche. L’État, en 2023, s’est engagé à mener une étude sur le sujet. Les membres de Villeneuvois à Vélo et ceux de Vélocité en Agenais ont été par la suite reçus par la Dreal afin de présenter leurs travaux. Reste maintenant à savoir quand les premiers coups de pelle pourront être donnés.
Laisser un commentaire