INTERVIEW. Philippe Sella : « Les commotions m’ont volé des souvenirs, mais je reprends confiance »

Ancien suaviste, international français et parrain du projet Brain Boost & Care 111, Philippe Sella témoigne avec franchise des séquelles liées aux commotions cérébrales. Et de l’espoir que lui redonne la médecine innovante d’aujourd’hui.

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Quidam l’Actu : Vous êtes engagé auprès du projet Brain Boost & Care 111. Qu’est-ce qui vous a convaincu de le soutenir ?

Philippe Sella. : Ce qui m’a immédiatement parlé, c’est qu’enfin on prend au sérieux les commotions et les accidents neurologiques, pas seulement dans le rugby, mais dans tous les sports. Pendant longtemps, on n’en parlait pas, ou alors on minimisait. Ce projet propose un accompagnement concret, avec des soins réels, là où on pensait que rien n’était possible. C’est une belle avancée, parce que ces blessures-là sont invisibles, mais leurs conséquences, elles, sont bien réelles.

Q.A. : Vous avez vous-même été touché. Quels effets ont eu les commotions sur votre quotidien ?

P.S. : C’est toute une génération de joueurs qui a été laissée sans diagnostic ni suivi. Je me souviens de la première Coupe du monde, en 1987. À l’époque, si un joueur prenait un KO, c’était simple : il quittait le terrain… et la compétition. Il rentrait chez lui. Moi, j’ai pris un choc à la tête lors du match contre le Zimbabwe. On peut en parler aujourd’hui, il n’y a plus de secret là-dessus. J’étais sorti du terrain, mais on avait un peu caché ce qu’il s’était passé. Dans les vestiaires, je parlais normalement, j’étais cohérent… sauf que toutes les cinq minutes, on reprenait la conversation du début. Je posais les mêmes questions et je donnais les mêmes réponses aussi. J’ai vraiment récupéré peu avant la fin du match, juste avant que tout le monde ne rentre aux vestiaires. À l’époque, c’était complètement différent : il n’y avait pas de protocole, pas de contrôle médical sérieux. Si quelqu’un avait su que j’avais été KO, je n’aurais pas pu rejouer la suite du tournoi. Et aujourd’hui, j’en subis encore les effets. Mon principal souci, c’est la mémoire courte. Je peux très bien discuter avec quelqu’un, être en réunion, et soudain avoir une absence. Des trous noirs. J’oublie ce qui vient d’être dit. Ce n’est pas seulement gênant, c’est handicapant dans la vie sociale. Même dans la mémoire ancienne, il y a des pertes, mais le court terme, c’est ce qui m’affecte le plus. Parfois, je me sens coupé d’une partie de moi-même.

Q.A. : Comment vivez-vous votre parcours de rééducation ?

P.S. : Ce qui me redonne espoir, c’est que je ressens de vraies améliorations. Chaque séance que je fais me permet de retrouver un peu plus de clarté, de confiance aussi. Ce n’est pas encore gagné, bien sûr. Mais dès qu’on travaille, je sens que les absences se font plus rares. Je crois beaucoup dans ce qu’on me propose ici, dans ces soins ciblés. Et je suis un patient fidèle à cette équipe, parce que ce qu’ils font, c’est du sérieux, c’est humain, et ça donne des résultats.

Q.A. : Vous voulez que ce combat dépasse le cadre du rugby ?

P.S. : Absolument. Il faut arrêter de croire que les commotions ne concernent que le rugby. Le foot, la boxe, le surf, le cyclisme, même une chute en trottinette… On voit des cas partout. Le rugby est peut-être en avance en France sur le sujet, mais ce n’est pas une exclusivité. Ce parcours de soin, il doit être proposé à tous les sportifs, à tous les niveaux. Moi, j’ai la chance d’en bénéficier. Mais il faut que ce soit ouvert à tous ceux qui en ont besoin.

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