
Mercredi après-midi, sur la plaine des sports d’Armandie, la salle de réunion du pôle sportif Nathalie Thoumas-Gui avait des airs de laboratoire d’innovation. Médecins du sport, chercheurs, anciens rugbymen, représentants du monde amateur et entrepreneurs étaient réunis autour d’un même objectif : changer la manière dont les commotions cérébrales sont abordées, détectées et soignées. Et cette manière a un nom : « Brain Boost & Care 111 ». Une dénomination un peu mystérieuse pour un programme qui ne l’est pas : il s’agit tout simplement d’une véritable révolution dans la prise en charge de ces pathologies, conçue pour s’intégrer aussi bien dans les clubs amateurs que dans les cliniques spécialisées.
Rachel Gallas et Antonio Sousa, fondateurs de la société lot-et-garonnaise Green Tech Novation, rappellent l’origine du projet : « Il y a un an, on a organisé une première conférence à Foulayronnes pour réveiller les consciences dans le monde amateur. On a compris qu’il y avait un besoin immense d’information, mais surtout d’outils adaptés. Aujourd’hui, on passe à l’action. »
Et du changement, il y en a bien besoin, car, comme le rapportent l’ARS (Agence Régionale de Santé) et Santé publique France, environ 187 500 traumatismes crânio-cérébraux et commotions cérébrales sont constatés en France chaque année. Pour ne rien arranger, 68 000 commotions avérées sont diagnostiquées chez les enfants de 14 à 19 ans.
Des outils scientifiques de pointe au bord du terrain

Le parcours de soin imaginé par Green Tech Novation a quelque chose d’innovant, voire de futuriste. Conçu comme une approche transversale, Brain Boost & Care 111 repose sur cinq piliers : sensibilisation, prévention, innovation, soin et formation. Le tout est soutenu par une panoplie d’outils de pointe inspirés des neurosciences : des tests neurologiques portables capables de détecter en quelques secondes les conséquences d’une commotion, des casques de réalité virtuelle pour entraîner et tester les fonctions cognitives, de la pupillométrie issue des services de réanimation, et des noms comme « Eyevo », « RegenLife » ou encore « Vald Performance », qui forment les dispositifs mis en place dans le déroulement du processus global.
À cela s’ajoutent d’autres modules : nutrition, sommeil, génétique, entraînement cognitif.
« On veut une prise en charge complète, personnalisée, appuyée par la science. L’un des enjeux, c’est de rendre ces outils accessibles aux clubs, aux éducateurs, aux médecins de terrain. On va former les professionnels, kinés, médecins, pour qu’ils puissent utiliser ces outils et intégrer des protocoles adaptés à chaque cas », ajoutent ses créateurs.
Le monde amateur en ligne de mire
Si le rugby professionnel a récemment pris conscience des dangers liés aux commotions, le monde amateur reste souvent en retard. Les règles y sont parfois même plus laxistes, comme le souligne Patrice Lagisquet, ancien joueur et entraîneur du XV de France, invité exceptionnel de l’événement : « Dans le rugby amateur, il y a moins de remplacements possibles qu’en pro, ce qui rend la gestion des risques bien plus complexe. Et c’est souvent l’arbitre qui décide du carton bleu*. Si l’entraîneur ne réagit pas, le joueur reste sur le terrain… » L’initiative veut donc remettre de l’ordre dans cette gestion à hauts risques, en s’appuyant sur un modèle de check-up personnalisé : « On testerait chaque joueur en début de saison pour créer une base de données individuelle, explique Antonio Sousa. Et en cas de choc ou de doute, on peut refaire ces tests : si les résultats ne retrouvent pas les valeurs de référence, le joueur ne retourne pas sur le terrain. » Car, comme l’affirment les médecins du sport et neurologues présents lors de la présentation : « Le vrai problème, c’est la méconnaissance. La commotion, si on ne la soigne pas, elle empire. Aucun IRM ne permet de détecter la lésion invisible laissée par un choc. Et c’est une des rares pathologies qui touche plus les jeunes que les seniors. Pourtant, l’état des victimes se dégrade en vieillissant. »
Du sport à la société
Mais Brain Boost & Care 111 ne s’arrête pas au monde du sport. Comme le souligne Rachel Gallas :
« On travaille aussi avec des patients atteints de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer. Les commotions, ce n’est pas que le rugby. Une chute de vélo, d’escalier, une trottinette mal négociée… Ça peut arriver à tout le monde. » Le projet va ainsi s’implanter sur le territoire d’Agen (hôpital et clinique), en collaboration avec les fédérations sportives. Un pilote est également en cours à Lisbonne, avec des chercheurs et des physiothérapeutes portugais, et des pistes sont à l’étude au Brésil.
« Notre force, c’est la synergie, insiste Antonio Sousa, cofondateur du projet. Chaque technologie utilisée individuellement apporte des résultats. Mais combinées, elles permettent une rééducation personnalisée qui n’existe nulle part ailleurs. » La start-up veut, à terme, structurer un maillage territorial fort : des centres à moins d’une heure de route des principaux bassins sportifs, pour que le parcours de soin devienne un réflexe de santé publique. « On travaille aussi pour que certains actes soient, à terme, remboursés », ajoute Rachel Gallas. Le message porté par Green Tech Novation est clair : l’ère du déni est révolue. La commotion cérébrale n’est pas un détail. C’est une blessure parfois invisible, mais aux conséquences durables, voire dévastatrices. Green Tech Novation appelle désormais les collectivités, les clubs, les institutions à se mobiliser.
« On ne pourra rien faire seuls, concluent les porteurs du projet. Mais ensemble, on peut transformer un fléau invisible en levier de soin, d’innovation et de performance. »
« Une commotion peut détruire une vie… et une famille »

Le projet s’appuie aussi sur les témoignages de ceux qui ont vécu les commotions de l’intérieur. Patrice Lagisquet se souvient « d’une époque où l’on masquait les symptômes, même dans les cas les plus sévères, pour assurer sa place sur le terrain » Il se souvient aussi d’un cas marquant à Biarritz : « En 2012, on a respecté le protocole pour un joueur commotionné, puis il est revenu jouer. Dix minutes plus tard, un choc bénin l’a renvoyé en chambre noire pendant six mois. Ça a signé la fin de sa carrière. Aujourd’hui, les commotions sont la première cause d’arrêt définitif dans le rugby pro. »
L’ancien rugbyman international Antoine Burban relate lui aussi les soucis du quotidien liés aux commotions observées durant sa carrière : « On sous-estime à quel point on peut détruire sa vie de famille après des chocs comme ceux-ci. J’étais changé, ma personnalité n’était plus la même, je n’avais plus de patience, j’étais rapidement fatigué… Il nous a fallu deux années pour nous rendre compte qu’il fallait prendre le problème à bras-le-corps. »
Zazie Gardeau, ancienne cavalière de l’équipe de France d’équitation et victime d’une grave chute à cheval en 2023, témoigne, elle, d’améliorations « significatives » depuis qu’elle est entrée dans le parcours de rééducation évoqué ici.
*NDLR : Ce dispositif permet à l’arbitre de la rencontre, lorsqu’il détecte des signes évidents de commotion cérébrale ou en suspecte une, de le signaler en montrant un carton bleu. Le carton bleu entraîne la sortie définitive du joueur concerné de l’aire de jeu.
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