Avant Agen-Montauban, on (re)fait le match avec Philippe Mothe

L'une des plus grandes légendes du SUA LG a aussi entraîné l'US Montauban dans le courant des années 2010. Philippe Mothe, ancien centre de renom et figure marquante du rugby lot-et-garonnais, nous raconte son Agen-Montauban, au travers de souvenirs d'un rugby pas si lointain que ça.

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De Condom au SUA, il n’y a qu’un pas

Philippe Mothe : J’ai commencé le rugby à Condom, qui a toujours été un club important dans mon Gers natal, mais le SUA représentait pour moi le club de référence dans notre région. À Condom, j’étais international universitaire, et c’est là que j’ai été contacté pour rejoindre le SUA. C’était difficile de refuser, car le club était géographiquement proche de chez moi et sportivement, c’était ce qu’il y avait de mieux dans le coin. Il faut dire aussi que le SUA, champion de France un an avant mon arrivée (1976), était très attractif avec une grosse visibilité. C’était un club emblématique et très respecté.

La découverte du « jeu à l’agenaise »

P.M. : J’arrive dans une équipe championne de France depuis peu, avec des gars comme Jean-Michel Mazas ou encore Bernard Viviès. C’était un jeu qui me correspondait bien car j’ai toujours aimé attaquer, mais ce n’était pas pour autant un jeu qui délaissait la défense. Il y avait surtout une volonté de jeu permanent. Par exemple, on avait décidé à une époque de relancer absolument tous les longs coups de pied, mais ce n’était pas qu’une question d’avancer ballon en main sans réfléchir à ce qui allait se passer ensuite. On avait nombre de combinaisons dans nos bagages, croisées, décroisées… Je n’ai pas vécu le ‘jeu à l’agenaise’ comme un jeu d’instinct permanent. Tout ce qu’on faisait était bien plus préparé que la légende ne veut le dire, on n’aurait pas été champions de France sinon.

« Philippe Sella ! Mais qui est ce gamin ? »

P.M. : J’ai côtoyé de grands arrières, dont Coco Delage et Philippe Sella. Je suis arrivé au club en 1977, tandis que Philippe a fait son premier match en 1981. Une anecdote me revient sur ses débuts en équipe première. Il était remplaçant, et un jour, contre Toulon, le coach, René Bénésis, décide de le faire entrer sur le terrain. C’était une période où les matchs contre Toulon étaient particulièrement rudes. On voulait le préserver en lui conseillant de ne pas prendre de risques. Mais dès son premier ballon, ils lui envoient une chandelle pour le tester ! On essaye d’aller la prendre pour protéger ‘le p’tit’, mais on entend un ‘J’ai !’, de la part de Philippe qui saute au-dessus de trois ou quatre joueurs, prend le ballon de volée, et part en courant sur 30 mètres, les épaules en avant. Ça a été impressionnant ! On s’est tous regardés en se disant : ‘Mais qui est ce gamin ?’. Il a fait forte impression dès le début.

La paire Mothe-Sella aurait pu exister dans le XV de France ?

P.M. : Oui, sûrement ! J’ai eu quelques malchances, à vrai dire. En 1982, je devais partir en tournée avec l’équipe de France, mais finalement le sélectionneur nous a laissés, Philippe et moi, pour un autre joueur, et on n’a pas pu aller en Argentine. En 1983, je devais partir en Afrique du Sud, mais cette fois la tournée a été annulée à cause de l’apartheid. Et puis en 1980, on avait aussi une tournée prévue en Afrique du Sud, mais je me suis blessé au genou juste avant de partir. Ça a été un concours de circonstances. À chaque fois, il manquait un petit quelque chose. Pourtant, j’aurais certainement pu jouer en équipe de France avec Philippe. À l’époque, je rivalisais avec des joueurs comme Didier Codorniou et Pierre Chadebech tous les dimanches en club, donc le niveau était là. Mais voilà, je dirais que c’est le côté ‘néfaste’ de ma carrière. Je n’ai simplement pas eu de chance sur ce plan-là.

Le Nirvana atteint en 1982

P.M. : 1982, c’est mon seul titre de champion de France (victoire contre Bayonne 18-9), et j’ai joué trois finales, dont deux que nous avons perdues. Donc, sur le plan personnel et collectif, c’était énorme. Paradoxalement, 1982 n’était pas notre meilleure saison. En 1983, par exemple, nous avions une équipe encore plus aboutie, mais nous avons perdu en demi-finale. On aurait mérité de faire le doublé cette année-là. Cependant, 1982 a été l’apothéose d’une saison montée en puissance. Parfois, ce sont les circonstances qui décident, et cette année-là, les étoiles étaient alignées pour nous.

« J’ai raté le coup de pied du titre »

P.M. : « Après le titre de 82, on a été champions en Du-Manoir l’année suivante, puis, en 84, on retouche à la finale du championnat contre Béziers (Défaite aux tirs au but, 21-21 après prolongations). C’est un souvenir amer, évidemment. À cette époque, je n’avais pas buté toute la saison, mais j’étais le buteur en finale. Et ce jour-là, je rate le coup de pied décisif, celui qui nous aurait donné le titre de champion de France. Nous avons dû enchaîner ensuite avec une autre série de coups de pied où l’on échoue, mais ce coup-là m’a marqué. Quand on gagne un championnat, on croit souvent que cela va se reproduire, mais après deux autres finales perdues, j’ai réalisé que ces opportunités sont rares et précieuses. »

Une fin amère au SUA

P.M. : Les dernières années ont été difficiles pour moi. J’avais envisagé de partir une année plus tôt, car je savais que la relève arrivait, notamment avec Gérald Mayout. J’avais signé à Bordeaux, mais le président du club a voulu me garder encore une saison. J’ai donc joué une année supplémentaire, mais je n’ai pas été aligné pour la finale Du-Manoir contre Grenoble et avant ça, le staff comptait moins sur moi. C’était une fin difficile à digérer, un peu amère même, mais c’est souvent ainsi pour les fins de carrière. J’ai pris le temps de m’en remettre, mais sur le moment, ce n’était pas facile.

La « galère » d’entraîner à Agen

P.M. : J’avais commencé à entraîner à l’époque de Dubroca en 1995, et les deux premières saisons s’étaient bien passées. La première année, on avait perdu en quart de finale contre Brive, qui était alors champion d’Europe. On méritait largement de gagner ce match. La deuxième année, on perd en demi-finale contre le Stade Toulousain, après avoir terminé premiers de notre poule et les avoir battus à Toulouse. C’était vraiment difficile d’accepter cette défaite en demi-finale. La troisième saison a été plus compliquée. Au départ, je devais entraîner avec Christian Lanta, mais il est parti pour Trévise. Ensuite, j’entraîne avec Jacques Gratton, avec qui j’avais joué dix ans auparavant. Sur le papier, ça aurait dû bien se passer, mais le duo n’a pas fonctionné comme espéré. Cette fin de parcours a été difficile, et c’est un gros regret pour moi.

« Ma dernière année à Montauban a fermé cette page de ma vie »

P.M. : J’ai passé cinq ans à m’investir à l’US Montauban (2011-2016). On a repris le club dans une situation compliquée, et on a réussi à le remonter en Pro D2 en deux ans. On a même été champions de France de Fédérale 1. La première année en Pro D2 a été excellente. Malheureusement, la deuxième saison s’est mal passée, mais ça fait partie des aléas du parcours professionnel. À l’époque, j’entraînais avec Xavier Péméja, et la fin a été difficile, car il ne souhaitait plus travailler avec moi. Il a demandé au club de continuer sans moi s’il restait en poste. Le club n’a pas voulu accepter sa demande, mais la situation est devenue tendue. Le conseil d’administration a fini par évincer les entraîneurs. J’ai reçu mes deux avertissements officiels, et la pression est devenue trop forte. Après huit mois de tensions permanentes, j’ai choisi de partir pour me préserver. J’ai donc mis un terme à mon aventure avec Montauban. Cette dernière année a été si éprouvante que, même avec d’autres propositions, je n’avais plus envie de m’investir comme avant. J’avais déjà entraîné pendant vingt-cinq ans, un parcours complet pour moi, et il était temps de tourner la page. Ça reste, au final, une belle aventure dans le rugby. Mais malgré tout, j’en garde un bon souvenir.

« Agen a les moyens de prendre le dessus contre Montauban »

P.M. : Je ne vais pas avancer les pronostics, par contre, pour moi, ça va être un match équilibré. Montauban revient fort après une saison très difficile où ils se sont maintenus sur le fil. Ils sont premiers ex aequo. Agen s’est remobilisé. Il est en milieu de tableau, mais c’est très proche des premiers aussi. Ça va être un match très intéressant, je crois équilibré. Je crois qu’Agen a les moyens de prendre le dessus. Les matchs Montauban-Agen ou Agen-Montauban… Cela a toujours été très serré. L’année dernière, ils étaient venus gagner à Agen. Agen avait gagné à Montauban. Ce sera mémorable.

Le petit questionnaire //

Quidam Hebdo. : Un joueur en particulier vous a-t-il marqué au SUA ?

P.M. : Vous le voyez venir, mais le joueur qui m’a le plus marqué, c’est Philippe Sella. J’ai partagé presque toute ma carrière avec lui, et il a laissé une empreinte exceptionnelle dans le rugby français. Ici, personne n’a eu un impact comparable à lui. Il a été capitaine à Agen, il a été capitaine du XV de France… C’est le plus grand phénomène que j’ai croisé.

Q.H. : En 1981, avec une sélection régionale, vous avez aussi réalisé l’exploit de battre les All Blacks (18-16). Quel souvenir en gardez-vous ?

P.M. : C’était énorme. Rien que le fait de jouer contre les Blacks, c’est quelque chose qui te galvanise. Mais en plus, les conditions étaient dantesques ce jour-là. Le match se jouait à Grenoble, et il tombait des cordes. On était dans un vrai déluge, un terrain impraticable pour jouer à la main. Ça a été un match très physique, très dur. On a dû plaquer sans arrêt pendant presque toute la seconde mi-temps, sous des trombes d’eau tout l’après-midi. C’est le genre de rencontre qu’on n’oublie pas dans une carrière. On finit par s’imposer au fruit d’une bataille mémorable et j’ai même gardé le maillot des Blacks en souvenir à la fin du match !

Q.H. : Est-ce que vous auriez aimé jouer au rugby de notre époque ?

P.M. : Certainement. Ce qui m’aurait vraiment intéressé, c’est d’évoluer dans ce contexte de professionnalisme. Aujourd’hui, le jeu est complètement différent. Le règlement a évolué, bien sûr, et le jeu a changé en conséquence. La préparation des joueurs est également très différente. J’aurais aimé me confronter à ce rugby-là, m’entraîner quotidiennement, travailler mon physique, et améliorer ma technique. C’est cette évolution que j’aurais voulu vivre. J’aurais voulu pouvoir vraiment « pousser la machine » au maximum.

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