
Quidam L’Actu. : Vous êtes aujourd’hui l’une des grandes figures de la voile en solitaire. Pourtant, vous êtes née en Suisse, un pays sans accès à la mer. Comment tout cela a commencé ?
Justine Mettraux. : C’est vrai qu’on ne pense pas forcément à la Suisse quand on parle de navigation. Mais j’ai commencé très tôt, sur le lac Léman, avec mes parents. Ils avaient un petit voilier sur lequel on naviguait pendant les week-ends ou les vacances. C’est comme ça que j’ai découvert la voile, dans un cadre familial, un peu comme beaucoup d’enfants le font sur les côtes françaises. Il y a d’ailleurs une vraie culture nautique en Suisse, malgré l’absence de mer. Très vite, j’ai su que j’aimais profondément ça. Mais en parallèle, j’ai aussi suivi un parcours plus classique. J’ai suivi des études à la Haute école pédagogique en Suisse pour devenir enseignante dans le primaire. L’éducation m’a toujours tenue à cœur, et encore aujourd’hui, c’est une dimension que j’essaye d’intégrer dans mes projets. Ce n’est qu’à la fin de mes études que j’ai pris la décision de me lancer pleinement dans la voile professionnelle. Ce n’était pas une rupture, mais une transition réfléchie. Et cette double casquette sportive et pédagogique m’a permis plus tard de m’investir dans des projets avec des écoles, comme ici à Boé. Ça me semble très naturel.

Q.A. : Vous évoquez votre implication avec les écoles. Comment ce lien s’est-il concrétisé avec les élèves de l’école Jean-Moulin à Boé ?

J.M. : Ce projet est né grâce à Jean-François Judit (premier adjoint à la Ville), qui a contacté Philippe, mon partenaire chez TeamWork, pour proposer une collaboration avec une école. Comme souvent avec le Vendée Globe, l’idée a immédiatement fait écho. Cette course a un vrai pouvoir mobilisateur auprès des enfants et des enseignants. Elle a lieu tous les quatre ans, et c’est une aventure qui se prête parfaitement à l’apprentissage : la géographie, les sciences, le français, les mathématiques… Tout peut être abordé à travers le prisme de la course. Quand je suis venue rencontrer les enfants, j’ai été impressionnée par leur niveau de connaissance : ils suivaient la course de très près, posaient des questions pointues, connaissaient les couleurs de foils, les positions… C’était touchant et stimulant. Pour moi, c’est un vrai bonheur de partager cette aventure humaine avec des enfants qui, pour la plupart, ne connaissaient pas la mer. On leur ouvre une fenêtre sur un autre monde.
Q.A. : Le Vendée Globe, c’est une course extrêmement exigeante. Comment se prépare-t-on à affronter près de 80 jours en mer, seul face aux éléments ?
J.M. : C’est un projet qui se prépare sur deux à trois ans, minimum. Il faut d’abord se qualifier, ce qui signifie participer à plusieurs courses en solitaire, dont des transatlantiques. Ensuite, il y a une préparation très large : technique, bien sûr, pour connaître son bateau par cœur, mais aussi physique, mentale, et logistique. Sur le plan mental, il faut accepter d’être seul longtemps, de devoir gérer l’imprévu, les pannes, la fatigue… On travaille avec des préparateurs mentaux pour apprendre à rester lucide, à gérer la pression dans des zones comme les mers du Sud, qui sont très exposées, loin de tout, et connues pour leurs conditions extrêmes. Paradoxalement, ce sont parfois les derniers jours, en Atlantique Nord, qui sont les plus durs : on est épuisé, les tempêtes hivernales sont encore fréquentes, et la proximité des côtes augmente le stress. Mais même si on est seul à bord, on garde un lien avec l’équipe à terre via satellite. En cas de pépin, on peut avoir du soutien technique ou moral. Ce n’est pas une conversation permanente, mais on sait qu’on n’est pas totalement isolé. C’est précieux.
Q.A. : Comment se déroulent vos journées en mer ? Et comment récupère-t-on d’une telle aventure ?
J.M. : Les journées sont rythmées par la météo. On reçoit deux gros fichiers météo par jour, un le matin, un le soir, et leur analyse peut prendre beaucoup de temps. Ensuite, il faut manœuvrer, parfois réparer, parfois simplement faire de la veille, régler le bateau, ou assurer les obligations médias. Il n’y a pas de routine fixe, car tout dépend des conditions. En mer, on dort par tranches courtes, jamais vraiment profondément. Donc à l’arrivée, il y a une grande fatigue accumulée. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, moi, je dors très bien après la course. Une fois la pression relâchée, que le danger est derrière nous, je peux dormir 12 à 15 heures sans problème ! C’est une forme de récupération intense et rapide, le corps et l’esprit en ont besoin.
Q.A. : Après ce Vendée Globe marquant où vous avez terminé à la 8e position (première féminine), quels sont vos projets à court et moyen terme ?
J.M. : Pour l’instant, je continue la saison avec mon bateau actuel. Il y a plusieurs courses prévues, notamment la Transat Café l’Or à l’automne. Ce sera la dernière course de ce cycle de Vendée Globe. Ensuite, rien n’est encore décidé pour la suite. Il y a des réflexions sur un éventuel nouveau bateau, mais ce sont des décisions qui se prennent avec du recul. J’ai aussi l’envie de naviguer sur d’autres types de bateaux. Les multicoques m’intéressent, même si je n’ai pas l’ambition de devenir skippeuse. Mais participer à des projets ponctuels, découvrir d’autres supports, c’est enrichissant. On apprend toujours en naviguant sur d’autres bateaux, dans d’autres configurations.
La Bio //
- Âge : 38 ans
- Diplômes : Licence de la Haute école pédagogique de Lausanne
- 2013 : Termine 2e de la Mini Transat en catégorie série, devenant la première femme suisse à monter sur le podium de cette course.
- 2017–2018 : Remporte la Volvo Ocean Race avec le Dongfeng Race Team, devenant la première Suissesse à s’imposer dans cette épreuve.
- Novembre 2024 : Prend le départ de son premier Vendée Globe à bord de l’IMOCA TeamWork-Team SNEF.
- Janvier 2025 : Termine 8e du Vendée Globe après 76 jours de course, établissant un nouveau record féminin pour un tour du monde en solitaire sur monocoque.
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