
Le printemps est synonyme de couleurs sur les marchés de plein vent et sur les étals des grandes surfaces. Ces couleurs sont celles des fruits et légumes parmi les plus appréciées des Français. La pleine saison du maraîchage et l’arboriculture est lancée. Certaines filières se portent bien tandis que d’autres rencontrent quelques difficultés.
La fraise : un bon démarrage //
Pour la rutilante star du printemps, les signaux sont globalement au vert. « La première partie de printemps, sur mars-avril, a été plutôt satisfaisante sur la mise en marché », certifie Gilles Bertrandias, directeur général des Paysans de Rougeline, la coopérative marmandaise. Malgré l’humidité jugée importante, la météo est restée favorable et a permis d’assurer « une production assez régulière avec une belle qualité de fruits ». Après cette première phase réussie dans l’ensemble, une deuxième se profile avec les variétés de fraises remontantes qui donneront des fruits encore plusieurs mois, jusqu’à l’automne.

« Cette filière confirme une bonne tenue dans la durabilité des équilibres. Au-delà d’une belle production, l’offre française est bien reconnue et valorisée. La dimension identitaire du produit fonctionne toujours », explique Gilles Bertrandias. La cohabitation avec les importations ne pénalise pas trop la filière française qui parvient à maintenir une offre différenciée. Attention toutefois aux « aléas climatiques et sanitaires » qui maintiennent la pression sur certains plants plus sensibles et affectent les rendements. La présence de certains virus et bactéries attirent la vigilance des professionnels.
La tomate : un équilibre fragile //
Le début de printemps de la tomate s’avère « correct », même si la situation n’est pas parfaite pour autant. La région Sud-Est connaît une année parmi les moins lumineuses sur les deux décennies précédentes. « Cela a engendré un déficit de production de 10 à 15%. La situation tend à rentrer dans l’ordre. Le Sud-Ouest se porte un peu mieux », analyse le DG des Paysans de Rougeline.
L’aléa climatique n’impacte pas seulement le volet agricole, il touche aussi la consommation. Et le temps maussade des dernières semaines n’est pas sans conséquence. « La tomate est fortement météo-sensible. Une semaine au-delà des 25°C, c’est 30% de consommation en plus. Derrière, les prix sont plus hauts, la rémunération des producteurs est donc meilleure. On est sur un marché basique de l’offre et la demande sur des denrées périssables. »
La cerise : présente tant bien que mal //

À Dunes, à quelques encablures du 47, Vivian Derc, producteur de cerises depuis quatre générations, garde les yeux rivés sur le ciel. « Cette année, on s’en sort plutôt bien », confie-t-il, alors que la récolte a débuté à la mi-mai. « Il n’y a pas eu de gel majeur comme en 2022 ou 2023, ce qui nous a épargné de grosses pertes. » Si la météo a été relativement clémente jusqu’ici, les volumes n’atteignent tout de même pas les niveaux espérés. « Sur la zone Moissac-Agen, on estime qu’on aura environ 70 % de la production de l’année dernière. Il manque donc 30 %, ce qui reste raisonnable compte tenu des conditions. »
Produire des cerises reste un travail d’orfèvre. Chaque cerise est cueillie à la main, une par une . « C’est ce qui en fait un fruit cher. Les prunes, on les fait tomber avec une machine. La cerise, c’est huit grammes ramassés à chaque unité. » L’effort humain, constant et coûteux, explique en partie les prix élevés pratiqués sur les étals. Mais d’autres facteurs jouent également : « Le Var et le Vaucluse ont été très touchés cette année par les intempéries. Ces régions, habituellement très productrices, se retrouvent en pénurie. Forcément, cela joue sur les prix à l’échelle nationale ». En France, les grandes régions productrices de cerises sont la vallée de la Garonne, la vallée du Rhône (Var, Vaucluse), et les Pyrénées-Orientales. Mais les aléas climatiques répétés reconfigurent peu à peu la carte de la production. Pour autant, les producteurs gardent la tête haute. Chez Vivian Derc, on cultive pas moins de 16 variétés différentes, ce qui permet d’étaler la récolte sur un mois et demi. « C’est une stratégie : ça évite que tout mûrisse en même temps et qu’on soit dépassés. » Comme quoi, l’agriculture de nos jours, c’est souvent une question d’adaptation.
Le retour de la mouche asiatique ?
Parmi les menaces qui planent sur les vergers, une en particulier hante les producteurs : la mouche Suzukii. Ce minuscule insecte, originaire d’Asie, s’attaque aux fruits rouges et peut ruiner des parcelles entières.
« C’est le fléau des fraises, des framboises, des cerises… Un véritable cauchemar. Heureusement, cette année, elle ne s’est pas encore montrée trop active. Il fait encore frais le matin, ce qui freine son développement. Mais rien n’est jamais garanti. » Pour contrer sa propagation, les professionnels font preuve d’ingéniosité. S’ils pouvaient encore, il y a quelques années, utiliser un produit répulsif, ce n’est plus possible aujourd’hui.
« Cette mouche pond ses œufs dans l’herbe. Nous devons en permanence maintenir le gazon sous les arbres fruitiers à une hauteur limitée pour l’en empêcher. Elle a aussi tendance à attaquer les cerises dès qu’elles atteignent leur pleine maturité. La méthode en vogue reste donc de cueillir les fruits un à deux jours avant leur maturité prévisionnelle, afin de limiter les risques. »
Une concurrence étrangère pas toujours très loyale //
Un sujet largement débattu dans les médias ces dernières années concerne les accords de libre échange bilatéraux comme le Mercosur. Pour le patron des Paysans de Rougeline, il s’agit d’un sujet critique et s’appuie sur un exemple qu’il connaît bien. « Il y a une quinzaine d’années, un accord a été passé entre l’Union européenne et le Maroc pour l’importation de fruits et légumes. Celui-ci a notamment été construit sur une complémentarité saisonnière et autour de produits quasiment plus cultivés en France comme la tomate ronde. Jusque-là, très bien. Sauf que le Maroc a, depuis, changé son fusil d’épaule et vient sur notre terrain de jeu en échappant à toute régulation, malgré nos dénonciations et nos appels à l’UE de revoir les termes de l’accord. C’est particulièrement criant dans le cas de la tomate cerise dont la consommation ne cesse d’augmenter. En plus de pouvoir inonder le marché 12 mois sur 12, le Maroc profite d’un avantage concurrentiel énorme. Là-bas, le coût d’une heure de travail dans les champs est 14 à 15 fois moins élevé qu’ici, ce qui aboutit à des prix extrêmement bas. En plein hiver, pourquoi pas. Mais en cette période, les voir occuper plus de 50% de l’espace en rayon, ce n’est juste pas normal. Rien n’est fait, ou trop peu, pour que l’origine des produits soit vraiment mise en avant. De nombreux consommateurs ne savent même pas qu’ils achètent de la tomate cerise du Maroc. La prise de conscience est nécessaire avec des questions fondamentales derrière : est-ce qu’il est logique au mois de juin de manger des tomates qui ont parcouru 2000 km alors qu’on en cultive ici ? Dans cet arbitrage, il ne faut pas oublier non plus l’impact social. Sur ce produit, ce sont à 15 à 20 personnes à l’hectare qui travaillent… », lance Gilles Bertrandias qui voit là un chantier important des prochaines années.
Laisser un commentaire