Economie : comprendre la crise des Vignerons de Buzet, mode d’emploi

Navigue-t-on à vue chez les Vignerons de Buzet ? La coopérative fondée en 1953 arrive en tout cas à un nouveau tournant de son histoire, avec le licenciement annoncé la semaine dernière de son directeur Pierre Philippe. Un retournement stratégique lié à un contexte viticole délicat, afin de sauver toute une filière lot-et-garonnaise.

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La décision prise par le directoire, mené par Nicolas Lhérisson et validée par le conseil de surveillance emmené par Nicolas Bruch, a fait l’effet d’un petit tremblement de terre dans les rangs de vignes du côté de Buzet. Pierre Philippe avait pris la direction de la coopérative il y a 19 ans de cela, relevant par la même occasion les chiffres de la cave qui connaissait déjà la crise. S’il a pu incarner la figure du sauveur à une époque, amenant avec lui de nouveaux choix stratégiques et des méthodes innovantes de marketing, il est aujourd’hui peut-être vu comme l’homme de trop dans une coopérative qui prône l’entrée dans une nouvelle ère pour retrouver unité et ambition. Une volonté globale qui vient faire face à la crise viticole qui plane au-dessus des vignerons. En clair, une histoire d’hommes, de crises et de chiffres qui nécessite une explication plus approfondie.

1 / Nationalement, la viticulture est à bout de souffle

D’ores et déjà, les viticulteurs traversent une crise profonde, bien au-delà du simple Lot-et-Garonne. En effet, la crise viticole se répand, les bassins de la moitié sud de la France apparaissent nettement les plus en difficulté. Car, entre la pandémie, le réchauffement climatique, les conflits géopolitiques et l’inflation, c’est une avalanche de fléaux qui s’est abattue ces dernières années sur la filière. Ajoutez à cela les épisodes de gel, puis de sécheresse pour les uns, de mildiou pour les autres et vous avez tous les éléments nécessaires pour qu’un domaine n’évolue plus dans les conditions adéquates. Dans le Bordelais par exemple, épicentre de la crise, on annonce 30 à 40 000 hectares de vignes qui pourraient disparaître d’ici cinq ans. Alors depuis quelques mois, les vignerons se sont rassemblés en collectif pour réclamer l’arrachage de leurs vignes. Une action qui permet, en dédensifiant le vignoble, de lutter contre la flavescence dorée, une maladie qui menace les pieds laissés à l’abandon, mais aussi d’éviter la surproduction face à une consommation en baisse. Dans ce contexte, l’État a annoncé fin janvier un renforcement de ses mesures de soutien avec : la mise en place d’un fonds d’urgence de 80 M€ pour soutenir les viticulteurs qui connaissent des difficultés de trésorerie, et un appui structurel à hauteur de 150 M€ pour mettre en œuvre une restructuration différée, comprenant une option d’arrachage « sans replantation » en vue d’une diversification agricole.

2 / Localement, le vin est en perte de vitesse

Les mesures du gouvernement surviennent après plusieurs années de réclamation, mais seront-elles suffisantes ? En Lot-et-Garonne, si quelques parcelles de vignes ont déjà été arrachées, les vignerons restent en majorité dans l’attente de voir comment l’argent de l’Etat va être distribué. « Des montants ont été annoncés, mais on n’a aucune idée de comment ils vont être répartis et sous quelles conditions, donc nos vignerons restent dans l’attente de précisions afin d’avoir le feu vert pour l’arrachage », confirme Nathalie Roussille, viticultrice à Buzet, membre du conseil de surveillance des Vignerons de Buzet et élue à la Chambre d’agriculture 47. Pour l’heure, le dispositif est ouvert aux demandeurs depuis plus d’une semaine et s’articule sous la responsabilité des préfets des départements des bassins viticoles en crise. Les premiers paiements devraient arriver sur la table avant le prochain Salon International de l’Agriculture (24/02).

Nicolas Bruch (réélu président du conseil de surveillance de la coopérative buzéquaise lors de l’assemblée générale du 6 février), lui, regrette une image en perte de vitesse pour le vin. « Les campagnes publicitaires préventives contre la consommation d’alcool ne mettent en scène que du vin. Le Gouvernement dévalorise notre culture, ce qui nous empêche de la transmettre, et ne pas transmettre une culture, comme un savoir-faire, c’est les voir disparaître », argumente-t-il. Et de cette image en berne résulte une demande qui ne cesse de baisser. En effet, le consommateur de base achète moins de vin et à Buzet, ça se ressent, en témoigne le bilan de la coopérative cette dernière année : plus de 180 000 hectolitres de stock pour près de 65 000 hectolitres produits. Et tout cela impacte directement le revenu du vigneron, au cœur du sujet de crise.

3 / L’éviction de Pierre Philippe pour mieux relancer la machine

Reste maintenant un peu plus de deux mois à Pierre Philippe pour préparer sa sortie annoncée pour la fin avril. « On doit s’adapter à un contexte viticole qui ne nous est pas favorable. La cave, comme les vignerons, ne peut plus évoluer dans les mêmes structures qu’il y a 20 ans », lance Nicolas Bruch. Et qui de plus emblématique pour incarner le pilier du modèle Vignerons de Buzet ces 20 dernières années, que son directeur Pierre Philippe ? En le renvoyant, la coopérative de plus de 80 salariés tourne une page importante de son histoire. Pour la majorité des 130 adhérents, Pierre Philippe était un directeur clivant, avec ses qualités et ses défauts, mais avec des résultats pendant un temps. Et quand les résultats ne sont plus au beau fixe et commencent à chuter, la tendance veut qu’on cherche un coupable. « Le départ de Pierre était calculé depuis un certain temps. Cela ne va pas contre la personne. On doit changer de fonctionnement pour trouver des résultats meilleurs », assume le président du conseil de surveillance. « Changer de dirigeant, c’est changer de façon d’appréhender l’avenir. Il y a eu des divergences d’opinions par le passé, donc on avait perdu un peu de notre cohésion, mais c’est la faute de tout le monde, parce qu’au-delà de la direction, les vignerons ne se sont peut-être pas assez imposés à certains moments », regrette quant à elle Nathalie Roussille, récemment élue au sein du conseil de surveillance. Pierre Philippe provoquait-il une division au sein des coopérateurs ? A-t-il « trop » voulu diriger seul sans être assez challengé par ses confrères ? Les principaux intéressés ne se risquent pas à se prononcer, mais estiment « qu’après 19 ans, il était temps de passer le flambeau et que les soucis se rapportaient à tous les partis et non seul celui du directeur en place qui restait un salarié parmi d’autres. » Si la cave « parvient toujours à payer ses salariés et fournisseurs », les viticulteurs atteignent eux des seuils critiques. Voilà pourquoi les représentants des Vignerons de Buzet en appellent à l’unité et au retour au travail collectif pour éviter la chute tout un pan de l’économie locale, et ce, de manière urgente.

4 / Aborder de nouveaux axes de développement

Alors maintenant que la nouvelle ère est proclamée, que va-t-il advenir des Vignerons de Buzet ?Structurellement, le conseil de surveillance veut retrouver l’esprit d’équipe pour monter un projet permettant de passer un gap. Et pour cela, il attend l’implication de chacun. « Il faut faire des choix à la cave pour aider les viticulteurs et eux doivent faire des choix et s’impliquer plus dans la vie de la coopérative, notamment sur du présentiel de salons, car ils se sont jusqu’ici peut-être un peu trop reposés sur la cave. On a des demandes de négociants et des opérations commerciales où la présence des vignerons est indispensable », argue le président. Désormais, chaque rôle défini doit être respecté.

Pour ce qui est des ventes, la rentabilité n’est pas à la hauteur espérée et les dirigeants de la coopérative le savent, « la consommation d’alcool sera de plus en plus basse à l’avenir, il ne faut pas se faire de fausses idées. » Alors il faut maintenant trouver de nouveaux leviers de développement. Nathalie Roussille avance l’idée de travailler de nouveaux cépages, de nouveaux produits, moins alcoolisés, pour contrecarrer quelque peu ce qui s’apparente à une diminution de la consommation du vin rouge. Un long travail attend donc la coopérative pour sortir du rouge. Mais pour finir sur une note optimiste, le vin n’en est pas à sa première crise et la cave des Vignerons de Buzet a déjà traversé des situations similaires par le passé. A chaque fois, elle a su innover pour rebondir et devra faire de même aujourd’hui, au risque de voir un poumon économique local s’effondrer, causant un impact dans la ville, bien au-delà des vignes.

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