Démographie médicale : où en est-on vraiment ?

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Quelles sont les actions des pouvoirs publics pour favoriser l’installation ?

« Une compétence régalienne. » C’est ce que s’évertuent à répéter les élus locaux renvoyant l’État à ses responsabilités. Mais parce qu’ils sont en première ligne, ils ne peuvent décemment pas rester les bras croisés. « Je n’attends plus rien de Paris », avoue Christian Delbrel, maire de Pont-du-Casse et conseiller départemental. Les collectivités redoublent donc d’effort pour tenter d’enrayer, sinon ralentir, une dynamique négative.

Le Département, justement, a investi 2,8 M€ dans cette thématique depuis 2009 avec sa « Coddem (Commission départementale de la démographie médicale). Cela a permis d’accompagner les communes et les EPCI ainsi que des privés dans la création de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), de centres de santés (CDS) avec médecins salariés, de cabines de téléconsultation, ou encore dans la spécialisation infirmiers de pratique avancée (IPA). Cet effort s’étend aujourd’hui avec la création d’une plateforme d’aide à l’installation qui sera officialisée début novembre. Sous la supervision de la vice-présidente Annie Messina, ce guichet unique a pour but de « lever un maximum de freins ». Les praticiens susceptibles de poser leurs valises en Lot-et-Garonne peuvent renseigner leurs souhaits et leur situation, laissant ensuite les équipes du CD47 et leur cinquantaine de partenaires trouver les meilleures réponses. La plateforme, inspirée d’une initiative similaire menée dans les Pyrénées-Atlantiques, se charge aussi de loger les internes dans de bonnes conditions, coordonner (et augmenter)

les maîtres de stages universitaires, ou encore inciter les lycéens à se lancer dans des études de médecine. « On veut tout faire pour rendre ce territoire le plus attractif possible en matière de santé. On regroupe les acteurs et on crée du dialogue pour que les choses se passent au mieux », déclare Annie Messina.

Une avalanche d’aides qui ne suffit pas toujours

L’État, de son côté, apporte aussi quelques deniers via ses antennes (CPAM, ARS, services fiscaux). Tout d’abord, une très grande partie du Département est zonée en FRR (France ruralités revitalisation) ou ZRR (Zone de revitalisation rurale) permettant aux libéraux nouvellement installés de profiter d’importantes exonérations d’impôts. Une autre forme de zonage ZIP (zones d’intervention prioritaire), les plus fragiles; les ZAC (zones d’action complémentaire) octroie également des aides forfaitaires pouvant aller jusqu’à 50 000 €. S’il est impossible de tout résumer ici, l’avalanche de dispositifs aux acronymes technocratiques montre que la profession est soutenue dans son effort. Mais cela n’est pas toujours suffisant. La MSP de Donnefort à Agen, inaugurée en grande pompe en 2021 après avoir injecté plus de 2 M€ d’argent public, n’accueille déjà plus aucun médecin. « C’est une coquille vide. L’outil n’est pas suffisant parce qu’il n’y a pas d’anticipation à plus long terme sur les départs à la retraite et qu’on change les conditions en cours de route. Du coup, les médecins qui restent préfèrent partir pour aller là où ils trouveront des conditions plus avantageuses », note le Dr Pascal Severac, secrétaire général de l’Ordre des médecins.

Seul un travail de concertation plus abouti permettra de retrouver de l’attractivité et surtout assurer la continuité des soins. Parmi les exemples à suivre : les communes de Port-Sainte-Marie et Prayssas, chacune dotée de 7 praticiens, jeunes qui plus est.
C’est également la cohésion entre les pros de santé et les agents territoriaux qui évitera à la Ville de Pont-du-Casse de fermer son deuxième cabinet malgré le départ soudain de 3 médecins sur 6…

Les médecins jouent-ils vraiment le jeu ?

Cette question est particulièrement sensible. Les médecins généralistes sont les piliers de notre santé au quotidien. En plus des dix années d’études particulièrement difficiles, ils font face à une multitude de cas compliqués avec un haut niveau de responsabilités. Un grand nombre de praticiens assurent un volume d’heures de soin très élevé pour satisfaire une patientèle extrêmement étendue.

Des rythmes effrénés dont les jeunes ne veulent plus

Cette situation professionnelle ne séduit plus. Ce qui a été considéré comme la « norme » pendant des décennies est de plus en plus rejeté par la jeune génération. Celle-ci aspire à une meilleure qualité de vie avec plus de temps libre pour profiter de sa famille et de ses loisirs tout en ayant moins de contraintes administratives. Ce souhait est tout à fait compréhensible et légitime à titre individuel mais il pose problème vis-à-vis de la population. Au vu des effectifs actuels de médecins, les rythmes « à l’ancienne » ne sont déjà pas suffisants pour combler le besoin de soins. Si en plus le nombre d’actes par professionnel diminue, c’est la double peine. « Peut-on vraiment en vouloir aux jeunes confrères de ne pas laisser toute leur vie être absorbée par le travail ? Je ne crois pas », estime le Dr Pascal Severac, secrétaire général de l’Ordre des médecins en Lot-et-Garonne. De ce fait, les zones sous-dotées deviennent encore moins attractives qu’auparavant. Un généraliste n’a aucune raison de vouloir s’installer dans un désert où il se retrouvera surchargé à coup sûr.

« La course à l’échalote »

Les collectivités, face au besoin impérieux d’apporter des solutions à leurs administrés, sont prêtes à tout (ou presque) pour convaincre malgré tout des médecins de les rejoindre. Se sachant très courtisés, une fraction de ces derniers en profite pour gonfler ses prétentions ou faire monter les enchères. Las, un responsable politique lot-et-garonnais révèle sous couvert d’anonymat quelques échanges et revendications pour le moins… insolites. « Depuis quelques années, la grande tendance est au salariat plutôt qu’à l’exercice libéral, confie-t-il. Des horaires encadrés, moins de charges administratives, des infrastructures entièrement prises en charge… Soit. En règle générale, on tourne autour de 5000 € net pour 35 heures. Devant les exigences en hausse, on a été contraint de recruter à 6000 €, ce qui est déjà pas mal. Quelques-uns sont sans limite. On a par exemple reçu un jeune homme, relativement peu expérimenté, qui demandait 10 000 € pour 42h ! Là, ce n’est pas possible. On ne peut raisonnablement pas accepter ça. Autre cas, avec une docteure libérale d’origine roumaine et son mari qui faisait office d’impresario. À leur demande, nous avons investi plus de 10 000 € dans du matériel qu’ils ont emporté avec eux six mois après. Et au bout de trois ou quatre ans après avoir pas mal bougé, ils ont tenté de revenir dans une autre commune du Lot-et-Garonne. Échaudé par notre histoire, le maire n’a pas donné suite… Une autre dame, suite à une visite organisée pour lui montrer les atouts du territoire, nous donne son accord verbal. On lui avait trouvé une maison répondant à ses critères, une place en crèche pour son plus jeune enfant. Finalement, je reçois un SMS à 1h du matin me disant qu’elle s’installe ailleurs parce que là-bas, la collectivité lui payait le logement… La concurrence vient parfois des établissements hospitaliers. Une médecin que l’on s’apprêtait à recruter s’est laissé tenter en dernière minute par la belle rémunération des gardes à l’hôpital voisin, qu’elle a rapidement quitté pour un autre centre, toujours dans le département, pour 300 euros de plus… C’est la course à l’échalote ! »

Cet inventaire à la Prévert n’est qu’un petit échantillon. Plusieurs élus évoquent des médecins réclamant un « droit d’entrée », c’est-à-dire une rétribution pécuniaire à l’installation grimpant à plusieurs dizaines de milliers d’euros, en plus de leurs revenus réguliers et des éventuelles aides de l’État. Il arrive également qu’une commune embauche un médecin salarié conservant sa patientèle d’avant parce qu’il vient d’un territoire alentour. « D’une part, on déshabille Paul pour habiller Jacques. Et d’autre part, on fait peser tout le poids financier sur des contribuables pour que d’autres se fassent soigner. » L’intérim est un autre phénomène en plein essor, en particulier dans le milieu hospitalier avec tarifs de garde journalière qui ont atteint des niveaux
extrêmes (jusqu’à 2500 € à Agen par exemple).

Deux salles, deux ambiances

Pour Christian Delbrel, maire de Pont-du-Casse et conseiller départemental, le constat est amer : « On est en train de crever notre système de médecine qui n’allait déjà pas très bien. Le salariat chez les généralistes a amené des comportements regrettables qui mettent de surcroît en concurrence les territoires. Et tout cela prend racine dans un État défaillant qui a enchaîné les mauvaises décisions depuis 40-50 ans, avec notamment l’instauration du numerus clausus ».

L’Ordre des médecins du Lot-et-Garonne confirme qu’ « il n’est pas étonnant que les incitations financières provoquent une forme de surenchère ». Cependant, les représentants de la profession précisent que les comportements les plus problématiques restent à la marge. « Les plus gros soucis, on les rencontre avec des médecins étrangers qui sont souvent amenés par des chasseurs de tête », souligne Pascal Severac. Il est par ailleurs vrai que bon nombre de médecins permettent encore à l’édifice de tenir, en particulier ceux qui repoussent l’âge de départ à la retraite pour ne pas laisser leurs patients à l’abandon. « Entre ceux qui restent plus que dévoués à leur mission et les individus aux désidératas extravagants, c’est un peu deux salles deux ambiances », déplore un élu.

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