Vent de crise sur la noisette : Unicoque appelle l’État à prendre ses responsabilités

Avec une récolte 2024 dévastée par des ravageurs, la coopérative canconnaise Unicoque, représentant 80% de la production française de noisettes, fait face à des défis majeurs. Les réglementations strictes compliquent la lutte, menaçant l’avenir économique de la filière.

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Avec une récolte 2024 considérablement ravagée, la coopérative canconnaise qui concentre plus de 80% de la production française se retrouve en grande difficulté. Le directeur général Jean-Luc Reigne livre son analyse sur les causes et les potentielles conséquences de cette situation inquiétante.

Un duo de ravageurs à l’origine du problème
La filière noisette se bat principalement contre deux ennemis aussi petits que redoutables. Le premier est connu depuis longtemps. Il s’agit du balanin, aussi connu sous le nom de ver des noisettes. Il est, depuis 2015, accompagné de la punaise dite « diabolique » reconnaissable à son corps brun et ses marbrures noires et blanches. Ces deux insectes pullulent aujourd’hui à des niveaux encore jamais vus. Le balanin ne fait pas détail, il détruit tout sur son passage. La punaise, quant à elle, agit de manière plus pernicieuse. Armée d’un stylet très dur, elle perfore les coques de noisette et vient piquer l’amande, aspirant les nutriments et libérant des enzymes très amères. Le fruit, intact en apparence, est rendu impropre à la consommation. 

La récolte 2024 en chiffres
Pour comprendre l’ampleur du désastre, une plongée dans les chiffres est nécessaire. La récolte de cette année affichait un potentiel de 13 000 tonnes. Le balanin en a anéanti la moitié. Seules 6500 tonnes ont donc été livrées (contre 11 000t en 2023). Sur ce maigre butin, 2000 tonnes sont « piquées » par la punaise diabolique et donc invendables. Il reste donc 4500 tonnes réellement exploitables. Et comme un problème ne vient jamais seul, les bonnes noisettes et les piquées sont mélangées. « Nous connaissons les proportions par une analyse d’échantillons. Le souci, c’est qu’il est impossible de savoir lesquelles sont lesquelles en gardant le fruit entier en coque. Même en décortiqué, la technologie pour les différencier est difficile d’accès. Le tri s’annonce très compliqué », explique Jean-Luc Reigne.


Pourquoi en est-on arrivé là ?
Les ravageurs de la noisette ne sont pas arrivés du jour au lendemain dans les vergers du Sud-Ouest. Seulement voilà, la réglementation française limite drastiquement les moyens de lutte chimique. « Il faut savoir que les autres pays producteurs n’ont pas les mêmes règles que nous. La Turquie est autorisée à utiliser 244 molécules pour protéger ses fruits, l’Italie et l’Espagne en 8 et nous n’en avons qu’une seule, inefficace de surcroît », révèle Jean-Luc Reigne. Cette politique phytosanitaire ultra-restrictive, combinée à des conditions climatiques favorables (pas pour les récoltes), a permis la prolifération des insectes. « En 2023, nous avions déjà un taux de ravages record. Les très beaux volumes collectés avaient cependant permis d’atténuer les conséquences. Là, nous avons moins de noisettes à cause des trop fortes pluies et les dégâts ont été multipliés par 4. C’est la double peine. » 

Une urgence phytosanitaire reconnue
Dans son rapport d’expertise au sein de la coopérative en date du 3 octobre 2024, la
Direction régionale de l’agriculture de l’alimentation et de la forêt (DRAAF) conclue : « Sur la base de l’ensemble de ces éléments, il est attesté que les producteurs et la Coopérative Unicoque ont été confrontés collectivement à une situation qui n’était pas anticipable et qui ne pouvait être maîtrisée dans les conditions de moyens de lutte réglementairement autorisés ». Il s’agit d’une première étape importante qui oblige, normalement, l’État à réagir et proposer des solutions de maîtrise. Reste à savoir lesquelles…

Une absurdité française
La clé pour résoudre le problème est à la fois simple et compliquée. Simple car les professionnels de la noisette savent de quelles armes ils ont besoin pour lutter et comment s’en servir. Il suffirait à la France de s’aligner sur les règles européennes en réautorisant certains produits utilisés juste de l’autre côté de nos frontières. L’Italie et l’Espagne parviennent sans difficulté à endiguer les ravageurs pourtant bien présents sur leur territoire. C’est là que ça se corse… Politiquement, la remise sur le marché de néonicotinoïdes, en l’occurrence l’acétamipride, est un sujet sensible sur lequel les fervents défenseurs de l’écologie ne transigent pas. L’actuelle instabilité gouvernementale permettra-t-elle de prendre rapidement des décisions fortes de cet ordre ? 
Vouloir des productions agricoles plus vertueuses est un vœu pieux qui se heurte parfois à une réalité économique et technique plus têtue. « Les interdictions sur les moyens de lutte chimique sont prises sans que l’on ait des alternatives efficaces. L’absurdité est encore plus flagrante quand on sait ce qu’il va se passer ensuite. Alors que la demande ne fait qu’augmenter, la France étant le 4e plus gros consommateur de noisettes au monde, la production nationale va baisser. Nous allons donc importer encore plus qu’auparavant des fruits issus de vergers traités avec les substances dont on ne veut plus, sans parler du bilan carbone supplémentaire lié au transport », souligne Jean-Luc Reigne. À l’instar de la betterave, la situation de la noisette est « caricaturale » et symbolique du malaise agricole français.  


En attendant, quelles perspectives pour Unicoque ? 
Les décisions de l’État ne changeront rien à la catastrophique récolte 2024. En puisant dans ses stocks de réserves et dans les lots jugés « sûrs », Unicoque va tenter d’assurer la livraison d’un minimum de noisettes entières dont les pays d’Europe du Nord sont très friands. Pour le reste, une grosse opération de cassage se profile sans savoir, à ce stade, ce que ces fruits décortiqués deviendront. « Nous avons une grosse incertitude car nous sommes en dehors des normes internationales au niveau du taux de piqûres de parasites. Comme nous exportons à plus de 55%, nous avons besoin de ce cadre pour fiabiliser les échanges avec nos clients. Nous allons donc devoir trouver d’autres marchés parallèles… » À l’issue de l’exercice qui sera clôturé dans 5 mois, les dirigeants d’Unicoque s’attendent à un déficit, le premier dans leur histoire, de plusieurs millions d’euros.


Que faut-il craindre pour la filière ?
Unicoque emploie à ce jour 110 collaborateurs permanents, un chiffre qui monte à 300 personnes avec les saisonniers. Sur une année lissée, cela fait un total de 150 ETP (équivalents temps plein). Dans un souci d’économie, une trentaine d’entre eux devraient sauter en cette fin d’exercice. Si les CDI permanents ne sont pas menacés, ils seront pour certains incités à faire du « dépassement de fonction » pour aider à boucler la production. « Je peux compter sur une équipe fabuleuse qui comprend notre situation et fait tout son possible », confie le directeur général. Sur tous les autres postes, les dépenses seront réduites au minimum.
Le déficit devrait pouvoir être surmonté. La gestion financière saine de la coopérative lui offre un petit matelas de réserve et surtout la confiance des banques. « La vraie question concerne l’après-2025. S’il s’agit juste d’un moment difficile à passer, on devrait s’en sortir sans trop de dommages. Mais si l’État n’accède pas à nos demandes, il faut s’attendre à ce que les prochaines saisons ressemblent à celle-ci. Dans ce cas, il faut revoir toute la stratégie, sachant que notre outil n’est pas dimensionné pour tourner avec des moitiés de récoltes. Cela voudrait dire réduire les effectifs, faire du négoce avec des importations… Quant aux agriculteurs, les premiers touchés par cette crise, ils risquent de ne pas vouloir poursuivre dans la noisette si les conditions sont aussi dégradées. C’est tout l’avenir de notre filière qui est en jeu alors que le commerce se porte bien, que nos clients sont bien implantés et en demande et que nous avons de beaux projets avec des partenaires comme Lucien Georgelin (pour une quarantaine de nouveaux produits) et Codia », insiste Jean-Luc Reigne.  




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