« J’espère que le SUA reviendra de Grenoble avec la victoire »
Ross Skeate : Je regarde les résultats du SUA dès que je peux, les résumés aussi, et je suis content de voir que les joueurs tiennent bien la route cette saison, même si je n’en reconnais plus beaucoup (rires) ! L’équipe a bien changé depuis mon époque, mais ça reste un club auquel je suis attaché, il y a toujours une part de moi qui ressent une fierté pour ce qu’il accomplit. Vendredi, ça se joue à Grenoble, donc ça va être un déplacement costaud pour Agen. Mais je suis confiant, ils ont fait de bons matchs récemment, notamment contre Colomiers. J’ai aimé ce que j’ai vu de leur part vendredi dernier. S’ils continuent sur cette lancée, ils ont toutes leurs chances. J’espère vraiment qu’ils vont faire un bon résultat et revenir avec la victoire.
Le SUA, un club qui fait parler en Afrique du Sud ?
R.S. : Pour un Sud-Africain, ce n’est jamais évident sur le papier de venir jouer en France, surtout il y a quinze ans de cela. Agen, j’en avais entendu parler à travers mon père, qui connaissait un agent ici. J’étais même venu visiter Agen avant Toulon, qui est le premier club français pour lequel j’ai signé, donc il y avait déjà un lien. Je suis ensuite reparti en Afrique du Sud, et rejoindre le SUA s’est présenté à moi deux ans plus tard. Le club a une vraie histoire, c’est un endroit où l’on te soutient et où les gens sont passionnés par le rugby. De là où je viens, on le connaît surtout pour Philippe Sella, mais il est clair qu’Agen n’était pas inconnu pour moi.
Capitaine, leader… Un passage marquant du côté des Suavistes
R.S. : J’ai tout de suite senti que je pouvais trouver ma place ici. On s’est battus pour rester en Top 14, puis pour le rejoindre. C’était une période compliquée, mais j’en garde de très bons souvenirs ; les gens étaient accueillants, et l’équipe était soudée. Je me souviens de troisièmes mi-temps, d’échanges avec les supporters… La vie ici, c’était super. Les gens sont accessibles, chaleureux. La ville est accueillante, ça m’a marqué. Sportivement, je me sentais impliqué parce qu’il y avait toujours de l’enjeu à chaque journée de championnat. Je me souviens d’un match à Toulon (défaite 43-21), c’était à la fin de la saison 2012-2013, et même si on a perdu et qu’ensuite, c’était la relégation, on avait tous mis nos tripes. Ces moments, où tu es complètement impliqué, ça reste, même quand le résultat n’est pas là.
Un départ amer d’Agen pour regoûter au Top 14
R.S. : En 2014, on échoue en finale de Pro D2 contre La Rochelle. On loupe le Top 14 de peu. Je savais que ma carrière arrivait à sa fin, et que si je voulais m’épanouir, il me fallait un dernier défi. Jouer en Top 14 était important, c’est l’élite en France, donc quand l’opportunité à Grenoble est venue, j’ai foncé. C’était une expérience enrichissante et intense, bien que ce fut une année compliquée personnellement.
« Jouer au rugby en France et en Afrique du Sud, c’est incomparable »
R.S. : J’ai connu le Super Rugby en Afrique du Sud et le Top 14, la Pro D2 et même la Fédérale 1 en France. C’est incomparable ! Le Super Rugby, c’était beaucoup plus intense au niveau du rythme et de la qualité. Tout est rapide, précis. C’est un autre monde, surtout dans la gestion de la pression : tu n’as pas les mêmes enjeux qu’en Top 14 où il y a un risque de relégation, donc tu t’enlèves un poids mentalement et tu peux te concentrer sur le jeu pur. Physiquement, il y a aussi une grosse préparation avant la saison, ce qui te permet de te sentir prêt. Le Top 14, par contre, est exigeant par le nombre de matchs et la pression de la relégation, ça peut influencer la façon dont les équipes jouent. Tu as presque deux compétitions dans le championnat : le haut de tableau, avec les grosses écuries comme Toulouse et Toulon, qui visent les demi-finales, et les clubs en bas de tableau, comme Agen ou Grenoble à mon époque, qui luttent pour se maintenir. C’est une autre approche, qui peut peser lourd mentalement. Quand je suis arrivé en France, au début, on sentait que le Top 14 était en pleine montée en qualité. Il devenait un championnat où la technique et le savoir-faire étaient de plus en plus valorisés. Depuis dix ans, il a vraiment pris de la valeur et gagné en sophistication technique. Mais en Afrique du Sud, le Super Rugby reste un cran au-dessus selon moi pour l’intensité. Là-bas, on a des équipes comme les Bulls, les Stormers et les Sharks, et leur niveau de jeu est extrêmement élevé.
Une Pro D2 plus éprouvante que le Top 14 ?
R.S. : La Fédérale et la Pro D2, c’est un autre niveau d’exigence ! Ces compétitions sont très longues et extrêmement physiques. Je dirais que l’aspect physique et les conditions de jeu y sont encore plus rudes que dans l’élite. Dans ces divisions, tout passe souvent par le jeu au sol, les mêlées, et il y a beaucoup plus d’interruptions. Les matchs sont souvent moins fluides. C’est intense et ça te force à être fort mentalement. Chaque semaine, tu te retrouves à affronter des équipes où tu sais que tu vas te faire rentrer dedans dès la première minute. En Pro D2, c’est souvent un véritable combat physique où il faut être prêt à souffrir. Pour moi, ça a été une épreuve plus difficile mentalement que le Top 14.
Deux expériences avec les Barbarians, en 2008 et 2010, au plus près des valeurs du rugby qu’il aime
R.S.: Jouer avec les Barbarians, c’était une expérience incroyable ! Les valeurs que les « Babas » représentent, ce sont celles d’un rugby plus libre, presque un peu nostalgique d’un autre temps. Quand tu es sélectionné avec eux, tu joues pour le plaisir du jeu, pas pour la pression du résultat. Les entraînements sont moins centrés sur la préparation rigoureuse et davantage sur l’esprit d’équipe et l’instinct de jeu. C’est le rugby « champagne » dans toute sa splendeur, et j’adorais ça. J’ai des souvenirs inoubliables, comme le fait de jouer aux côtés de gars contre qui j’avais bataillé durant ma carrière, des joueurs comme Stephen Larkham et George Smith. Et les « Babas », c’est aussi un peu l’esprit festif : toute la semaine, on partage des moments en équipe, on fait la fête ensemble, et quand vient le jour du match, on est là pour se donner à fond malgré tout. Certains peuvent se coucher tard le vendredi et se présenter frais le lendemain pour le match contre l’Irlande ou l’Angleterre, comme si de rien n’était. C’est impressionnant de voir ce que ces gars-là arrivent à faire sans que la pression prenne le dessus. Le match commence, et tout le monde se transcende sur le terrain, alors que ça faisait trois jours qu’on faisait la fête avant et après l’entraînement (rires). C’est vraiment un rugby qui place l’humain et le collectif au centre de tout.
Le petit questionnaire //
Quidam Hebdo : Un joueur qui vous a marqué, à Agen comme à Grenoble ?
R.S. : Il y en a eu plusieurs. Le rugby est un sport qui te remet en question tous les jours, et pendant mes années à Agen et à Grenoble, j’ai beaucoup réfléchi sur moi-même. Et j’ai eu des coéquipiers inspirants, comme Chris Farrell à Grenoble. En plus d’être un centre de niveau international, c’est un type super avec qui j’ai créé une belle amitié. Au SUA, je me souviendrai toujours de Jalil (Narjissi). Je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi motivé et combattant que lui. Il emmenait tous ses coéquipiers avec lui dans son envie de gagner chaque match. C’est le genre de joueur dont chaque vestiaire a besoin.
Q.H. : Vous aviez gardé contact avec certaines personnes dans le coin malgré votre départ il y a dix ans ? Coéquipiers ou non ?
R.S. : Bien sûr, j’ai gardé quelques contacts proches en dehors du rugby. D’autres amis sont aussi retournés dans leurs pays respectifs, comme Jamie Robinson au Pays de Galles ou Junior Pelesasa en Australie. Mais avec le rugby, c’est drôle, tu gardes toujours des liens forts même après des années sans te voir, parce que ce sport crée des amitiés solides. Tu as partagé des victoires, des défaites, des moments intenses. Ça me tient à cœur de rester en contact avec eux, et parfois on se retrouve pour se rappeler les bons souvenirs.
Q.H.: Et que devenez-vous depuis votre retraite des terrains de rugby en 2017 ?
R.S. : Aujourd’hui, j’ai mon entreprise de production de café avec ma femme Jeanny. Je suis donc torréfacteur et barista. Cela fait cinq ans que Racine Coffee existe, mais en réalité, mon amour du café ne date pas d’hier. Le café, c’est à la fois très simple et en même temps tellement vaste. Je pourrais en parler pendant des heures ! C’était d’abord une passion durant ma carrière, et c’est devenu un projet concret quand on a fondé notre entreprise de café de spécialité bio. Nous avons d’abord ouvert un atelier de torréfaction artisanal et une boutique dans le bassin lémanique à Douvaine, en Haute-Savoie, ainsi qu’un coffee truck. Plus récemment, nous sommes revenus vivre en Lot-et-Garonne. Il y a un petit côté « retour aux sources » qui est symbolique aussi.
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