Politique : mais où était passée la gauche agenaise toutes ces années ?

La récente candidature de Laurent Bruneau pour faire face à l’indéboulonnable Jean Dionis du Séjour souligne l’absence de constance passée à gauche pour se dresser face au maire centriste.

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Un bastion. C’est ainsi que l’on pourrait qualifier la municipalité agenaise qui appartient de manière quasi hégémonique à la même fa- mille politique depuis environ quarante ans. Si le positionnement du Dr Pierre Esquirol, l’homme-clé des années 70, était légèrement teinté à gauche, ses successeurs naturels Georges Ricci puis Paul Chollet ont amorcé une dynastie de centre- droit qui ne sera contrariée que par le socialiste Alain Veyret à l’aube du XXIème siècle. Cette parenthèse de 2001 à 2008 marque le dernier sur- saut d’une opposition municipale à Agen. Depuis lors, c’est le calme plat. Comment l’expliquer ? Certes, environ deux tiers des villes françaises de plus de 30 000 habitants sont stables politiquement depuis 1983 et Agen s’inscrit dans cette mouvance. Jusque-là, rien de très anormal. Mais sans même parler d’alternance à l’Hôtel de ville, Jean Dionis du Séjour n’est que trop rarement poussé dans ses retranchements, la faute à une gauche devenue un peu trop discrète dans la ville-centre.

Les factures du mandat Veyret

En 2008, cette même gauche avait pourtant les cartes en main pour rempiler à la mairie. Au premier tour, elle récoltait même 51,5% des suffrages. Sauf que ces voix étaient ré- parties en deux listes au lieu d’une… La candidature du trotskiste Jules Bambaggi, avec lequel Alain Veyret n’a pas trouvé de terrain d’entente, est le clou qui a refermé le cercueil d’une équipe toujours souffrante de ses fractures internes. Pour rappel, l’euphorie de l’élection en 2001 avait été suivie de plusieurs désillusions et départs au sein de l’exécutif municipal. Le maire Veyret avait même dû se résoudre à démissionner en cours de mandat pour être finalement réé- lu et conforté une semaine plus tard au cours de l’automne 2004. Après cela, les choses n’ont plus jamais été les mêmes. Les guerres fratricides entre Alain Veyret et Lucette Lousteau au sein du conseil ou plus tard aux législatives en sont une belle il- lustration.

Absence de figure

En 2014 et 2020, Jean Dionis a marché sur les scrutins sans coup férir, dès le premier tour. Les scores sans appel reflètent l’état de délabrement de cette opposition. L’un des problèmes récurrents de cette gauche agenaise, c’est l’absence de figure tutélaire. Après Alain Veyret, qui a mené la fronde ? Les noms se sont succédé dans un relatif anonymat et sans qu’un leader ne se sorte du lot. Emmanuel Eyssalet, Jean-Phi- lippe Maillos, Jon Garay, Pierre Dupont, Maryse Combres, Cathy Pitous, Sandrine Laffore… Sans remettre en question leurs qualités ni leurs convictions, aucun d’entre eux n’a su incarner l’opposition dans un paysage politique où les personnalités comptent autant sinon plus que les idées. En 2019, la gauche plurielle avait commencé à bâtir un programme sans désigner de tête de liste. L’échec fut cuisant.

De l’importance de se faire un nom

Le rôle d’opposant est difficile car l’absence de rôle exécutif limite les possibilités d’interventions publiques. C’est pourquoi il est d’autant plus important de disposer d’une certaine notoriété locale. Lorsque l’on n’a pas l’opportunité d’être adoubé par de prestigieux prédécesseurs, les galons se gagnent directement sur le terrain, les mains dans le cambouis. À une trentaine de kilo- mètres au nord d’Agen, à Villeneuve- sur-Lot, deux profils bien différents illustrent bien la façon dont on peut se construire un ancrage durable. Guillaume Lepers a su renverser vingt ans de socialisme en faisant en sorte que tous les administrés connaissent son nom et son visage. Au cours de son ascension, il est allé briguer d’autres mandats afin de pouvoir exister, entre autres, sur la scène départementale en attendant son heure à la Ville. Et lorsqu’il est en campagne, il ne cesse d’arpenter le terrain. Thomas Bouyssonnie a su, lui aussi, se faire une place de choix malgré son jeune âge et son inexpérience. Au gré d’une campagne 2019-2020 rondement menée, il a su faire mieux que le maire sortant Patrick Cassany, pourtant à gauche comme lui. En poursuivant son combat, il est devenu vice-président au Département et est aujourd’hui un nom qui compte. Les opposants à Jean Dionis, eux, n’apparaissent dans aucune autre instance en de- hors de la Région dont la parole est rare localement. Aucun des piliers de la majorité socialiste (et assimilés) au Département n’est Agenais… Quant à leur notoriété, elle peine à dépasser les cercles d’initiés.

L’espoir Laurent Bruneau

Il y a pourtant de la place pour exister. Jean Dionis n’a par exemple pas progressé dans les urnes entre 2008 et 2014 alors qu’il venait pourtant de terminer son premier mandat (marqué par une abstention nettement plus forte, le scrutin de 2020 est pour sa part plus difficile à analyser). Laurent Bruneau fera-t-il mieux que ses collègues ? Il a le talent pour mais il aura bien des obstacles à surmonter pour rendre à la municipalité sa vivacité démocratique d’antan.

Les derniers scrutins municipaux passés à la loupe

2001 : Le PS renverse la dynastie centriste // La gauche l’emporte sur les successeurs de Paul Chollet. La liste d’Alain Veyret comptabilise 53,06% au second tour contre 46,94% pour l’équipe du binôme Philippe Lacaze – Jean Dionis. La dynamique est lancée.

2008 : Une désunion fatale pour la gauche // Alain Veyret (47,75%) s’incline au second tour contre son rival Jean Dionis (52,25%) malgré une majorité absolue pour les suffrages de gauche dès le premier tour. La présence maintenue de Jules Bambaggi a eu de lourdes conséquences.

2014 : Le début de la traversée du désert // Alain Veyret définitivement retiré de la vie politique, Jean Dionis a été élu dès le 1er tour avec un boulevard (52,19%). La première liste de gauche, emmenée par Emmanuel Eyssalet finit 30 points derrière avec seulement 21,85% des suffrages.

2020 : Une timide remontée // Dans ce face à face à sens unique, Jean Dionis (61,41%) rempile aisément pour un troisième mandat face à l’écologiste Maryse Combres (38,58%) chargée de mener une liste commune pour toute la gauche. L’union est de retour mais les résultats restent décevants.

« Je trouve que la gauche agenaise ne mérite pas le traitement qui lui est fait. Je ressens comme une forme d’ostracisme alors qu’elle a tenu bon dans une période noire à partir de 2017. Il faut se souvenir que l’on a vécu des trahisons très fortes, je dirais même que les rats ont quitté le navire du jour au lendemain au profit du camp macroniste. Celles et ceux qui sont restés ont fait un travail remarquable, trop peu récompensé. Au-delà de ça, il faut reconnaître qu’il y a eu certains manques. La continuité et la stabilité ont fait défaut mais c’est assez logique. Il y a toujours plus de gens prêts à se mettre en avant quand les choses vont bien. » Lucette Lousteau, ancienne député PS (2012-2017), conseillère municipale, départementale et régionale

«Ce qu’il faut d’abord rappeler, c’est que la gauche est toujours bien présente à Agen. Le candidat NFP aux dernières législatives a d’ailleurs terminé en tête au premier tour sur la commune. Pour le reste, il n’y a pas grand chose à dire. Ça appartient à l’histoire. En 2008, on peut remercier Jules Bambaggi qui n’a pas voulu nous rejoindre avant le premier tour. Après, c’était trop tard, je n’allais pas retirer des gens qui avaient fait campagne avec moi pour lui faire plaisir. Sans cette troisième liste, il y avait largement la place pour effectuer un second mandat. Et on aurait alors eu le contexte favorable pour faire émerger de nouvelles têtes. Le fait est qu’on n’a pas eu le temps, c’est tout. Quand une personne a occupé des postes politiques importants comme ce fut mon cas, il y a toujours une période de latence pour que les équipes puissent se reconstruire derrière avec un nouveau projet. C’est assez normal. Je ne saurais pas dire pourquoi ça marche pour certaines personnes et pas pour d’autres. Mon successeur en 2014, Emmanuel Eyssalet, manquait certainement de notoriété. Il n’a pas eu la chance d’avoir les mandats qui ont favorisé mon élection à la mairie d’Agen (conseiller général, député). Par ailleurs, cette ville a toujours privilégié les notables. En tant qu’avocat très respecté, Laurent Bruneau réunit beaucoup de critères pour réussir sa mission. S’il mène une bonne campagne, et j’ai une confiance absolue en lui, il est tout à fait capable de relancer la dynamique. » Alain Veyret, ancien maire d’Agen (2001-2008), député (1997-2002), conseiller départemental

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