Quidam l’Hebdo : Quelle est votre perception de la situation actuelle aux Vignerons de Buzet ?
Pierre Philippe : Je n’en sais pas grand chose. Cela fait pratiquement six mois que je ne suis plus aux manettes.
Q. H. : Mais les difficultés ne datent pas des six derniers mois…
P. P. : Je suis un peu surpris de tout ce que l’on peut lire et entendre. Pierre Philippe n’est que le directeur de la coopérative. Les vrais décideurs sont les présidents du directoire et du conseil de surveillance. Et certains chiffres avancés mélangent un peu tout et n’importe quoi. Quand Me Dejean (ndlr, l’avocat des Vignerons de Buzet) évoque une dette qui passe de 4 à 36 M€ en cinq ans (voir article ci-contre : https://quidam-hebdo.com/2024/06/19/economie-comprendre-la-crise-des-vignerons-de-buzet-par-les-chiffres/), il met face à face des données incomparables. Il intègre dans le second chiffre le règlement des vendanges, les salaires, le paiement des fournisseurs… Il va bien au-delà des seuls investissements.
Q. H. : Il y a quoi qu’il en soit un problème financier important.
P. P. : Raisonnez un peu ! Pensez-vous qu’un commissaire aux comptes aurait certifié les comptes ces cinq dernières années s’il avait vu l’endettement exploser dans ces proportions ? Les banques auraient-elles prêté de l’argent sans confiance dans notre projet ou à un client sans capacité de remboursement ? Soyons sérieux. Il y a aussi un cabinet comptable qui suit tout de près. Les comptes sont transmis aux adhérents… Que les choses ne se soient pas passées comme prévu, c’est une chose. Mais là, on cherche un bouc-émissaire et à attiser l’émotion.
Q. H. : N’y a-t-il pas eu un problème de gestion ?
P. P. : Au sens financier et comptable, non, il n’y pas eu d’erreur de gestion concernant la cave de Buzet. Le vrai problème ne relève pas de la gestion mais du commerce. On a subi un faisceau d’événements contre nous : la crise du vin associée à une surproduction, la guerre en Ukraine qui fait flamber les prix… Tout cela ne constitue pas un environnement favorable pour mener des projets. Notre segment, de petits vins principalement en rouge que l’on trouve à 5€ en rayon sur le marché domestique, est l’un de ceux qui souffrent le plus de la baisse de consommation. Je ne veux pas me défausser mais je ne peux pas être tenu responsable de tout ! Et il faut avoir en tête une chose sur laquelle la jurisprudence est très claire et constante : un choix stratégique ne peut être imputé comme une faute de gestion. Ce sont les règles du jeu.
Q. H. : À vous entendre, on pourrait croire que seulement c’est la faute à pas de chance. N’y a-t-il pas des choses que vous feriez différemment ?
P. P. : C’est toujours un peu facile de refaire le match après coup. À la lumière des éléments dont je disposais à l’époque, je referais les mêmes choix sans hésiter. La stratégie tournée vers le développement durable, tout le monde m’a tressé des louanges pour ça il y a quelques années et, visiblement, personne ne compte revenir dessus. Le rachat de Rigal (ndlr, entreprise de négoce pour 6 M€ en 2021) répondait au souhait d’ouvrir le portefeuille à d’autres activités. Tout le monde l’a voté à l’unanimité, d’autant plus qu’on avait terminé la grosse vague d’investissements structurels lancée dix ans avant. Je pense en plus que sans Rigal, notre coût de production aurait explosé, donc notre compétitivité et par conséquent notre rémunération. Il n’est pas non plus à exclure que ce soit à nouveau une force positive dans les années à venir. Quant au rachat du château, j’y étais pour ma part pas favorable. Mais quand bien même, il a coûté 700 000 €. Disons 1 M€ avec les travaux qui ont été subventionné pour moitié. Ce n’est pas ça qui résume les difficultés de Buzet. Et n’oublions pas que tout ne rentre pas dans le champ de mes prérogatives de DG : le choix d’encépagement, la réduction des surfaces, l’usage des fonds de réserve, les quantités de vin achetées aux producteurs… Tout ça, ce sont les présidents qui décident. Même les investissements, ce sont eux qui les signent.
Q. H. : Ces viticulteurs élus n’étaient-ils pas réputés proches de vous ?
P. P. : De quelle proximité parle-t-on ? Les élus en place à l’époque sont les mêmes qui dirigent aujourd’hui. De tous temps, le peuple vigneron a choisi ses représentants de manière démocratique et pouvait à tout moment leur demander des comptes. Il n’y a jamais eu la volonté de cacher quoi que ce soit. Personne n’a jamais été manipulé par Pierre Philippe.
Q. H. : Quel est selon vous le chemin à suivre pour sortir de la crise ?
P. P. : Sincèrement, je n’ai pas la réponse. Si j’avais eu une solution, je l’aurais exercée. Est-ce qu’il est acceptable de penser qu’il n’y a peut-être pas de solution du tout ? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a rien de simple dans cette histoire et probablement pas de remède miracle. Ce n’est pas parce qu’on nomme un ancien cadre de banque (ndlr, Yannick Villeneuve, DG de la Chambre de commerce et d’industrie pour une mission temporaire) que le problème va disparaître. Encore une fois, le problème n’est pas la gestion mais le commerce. Et cela va bien au-delà du Lot-et-Garonne. Tout le monde, dans le secteur viticole, est extrêmement inquiet. Je le suis aussi pour la cave de Buzet. Après, je n’ai plus trop envie de chercher à savoir ce qu’il faut faire.
Q. H. : On vous sent amer…
P. P. : Je trouve cela un peu trop simple de chercher un coupable désigné. Je regrette aussi qu’on oublie les bonnes années. On réduit mon travail, 19 ans à m’investir 7 jours sur 7 dans cette boîte, au problème que rencontre le monde du vin dans son ensemble alors que la cave aurait peut-être été dans cette situation bien avant si je n’avais pas été là… Alors avec le peu de soutien que j’ai aujourd’hui, rien ne sert de jouer sur la corde émotionnelle.
Q. H. : Vous êtes aujourd’hui en procédure prud’homale avec les Vignerons de Buzet. Qu’en est-il exactement ? Et d’autres affaires juridiques sont-elles à envisager ?
P. P. : Je me bats simplement pour mes droits face à des gens qui ne paient pas mon solde de tout compte. J’ai une carence de trois mois de salaire. À 61 ans, je n’ai, de surcroît, pas de perspectives de carrière très réjouissantes. Quant à l’indemnité transactionnelle, elle est nettement plus basse que ce qu’avance Me Dejean dans la presse. Certains veulent faire de moi un Bernard Tapie mais il n’y a jamais eu d’enrichissement personnel. Je n’ai toujours été qu’un salarié.
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