Au cœur des factures d’un agriculteur en 2024

Concurrence étrangère déloyale, politique agricole trop complexe, rémunération insuffisante, contrôles intempestifs... La colère paysanne n'a de cesse de croître ces derniers jours, mais qu'en-est-il en vérité ? A travers l'exemple de Pascal Capitan, producteur à Clairac, plongez dans la dure réalité d'une vie d'agriculteur en 2024.

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Il y a maintenant plus d’une semaine, le Lot-et-Garonne est presque devenu l’épicentre de l’actualité nationale, ses agriculteurs enchaînant les barrages, campements, déversements de déchets et feux aux quatre coins du département que l’on aime nommer « le garde-manger de la France ». Parmi eux, Pascal Capitan, 56 ans, producteur céréalier et boulanger du côté de Clairac. Lui ne s’est rendu sur les blocages qu’un seul jour, ce qui ne l’empêche pas pour autant de soutenir le mouvement « à 100%. Si on ne se fait pas entendre, les personnes extérieures au monde de l’agriculture ne pourront jamais nous comprendre. » Alors qu’une partie de ses confrères a commencé à rallier la capitale cette semaine, lui a dû se résigner à rester dans sa ferme du lieu-dit La Grangette, ne pouvant pas délaisser son exploitation dont il est l’unique travailleur. Bienvenue alors au « Retour aux Sources », une ferme de 50 hectares (ha) qui porte bien son nom, puisque Pascal, en rachetant l’exploitation en 2019 pour 400 000€, a effectué un retour à sa passion pour le monde paysan. « Je suis de formation agricole et il était prévu que je m’installe à la sortie de mes études en 1987, mais les aléas de l’époque ne me donnaient pas d’intérêts à avoir ma production immédiatement. Après avoir été conducteur d’engins, laitier et fromager notamment, je suis revenu bien plus tard dans ce monde avec cette ferme », confirme celui qui a depuis ajouté la corde de paysan-boulager à son arc.

Ici, Pascal Capitan a converti en premier lieu les terres en bio, et s’est spécialisé dans la production du petit épeautre, un blé d’antan qu’il transforme en farines et pains, en plus de produire un peu d’oléagineux. « Je revends à des Biocoop et d’autres magasins bio dans le département et aux alentours pour m’assurer un minimum de volume. J’ai développé la vente en ligne et je fais de la vente en direct à la ferme tous les jeudis soir aussi ». Ce Savoyard d’origine prône donc le circuit court, la réalisation de ses propres semences et le « zéro-traitement ». « Si je traite, cela me fera des charges supplémentaires et au vu du niveau des charges qu’on a aujourd’hui, le rendement que j’aurai ne les couvrirait ni elles, ni l’achat du matériel. »

Le poids des contraintes

Les contrôles, voilà l’un des nombreux problèmes rencontrés par les agriculteurs de nos jours et bien évidemment, Pascal et sa ferme bio n’y échappent pas : « J’ai des contrôles supplémentaires du fait que j’ai converti mes terres en bio. De base, on en a un obligatoire chaque année prévu sur rendez-vous, puis un deuxième qui peut survenir à n’importe quel moment, voire un troisième, à l’exploitation, comme sur le marché », détaille le producteur.

Côté matériel, l’homme rejette le cliché du paysan aux multiples terres, matériels et tracteurs à plusieurs milliers d’euros en sa possession : « j’ai une grande majorité de matériel d’occasion, j’ai seulement un broyeur neuf et un prêt pour mon tracteur qui s’ajoute à cinq autres prêts. Il faut bien se rendre compte que les tracteurs n’appartiennent que rarement au paysan, la réalité est bien plus difficile, tape du poing Pascal Capitan. Par exemple, l’année dernière, je n’ai pas pu payer en temps et en heure le peu d’engrais organique que j’avais acheté avec les semences, donc j’ai fait un prêt court-terme sur un an que je n’ai pas encore pu rembourser avec les charges qui ont augmenté et qui ont grillé ma trésorerie. »

Et quand ce n’est pas le système qui est complexe, ce sont les aléas du temps. En 2023, la grêle s’est abattue sur 10 ha des terres de Pascal, lui faisant perdre 13 tonnes de blé. « J’étais assuré et l’indemnisation est arrivée seulement la semaine dernière alors que je l’attends depuis août. D’ailleurs, j’ai reçu 600€, alors qu’en faisant le calcul, j’attendais autour de 5000€, il a fallu que je me fasse entendre pour que les calculs soient bien effectués et j’ai finalement eu 4900€, et ce, parce qu’ils avaient confondu la céréale en question dans le problème. »

« Je bosse 10h par jour mais c’est le travail de mon épouse qui me nourrit »

En cinq ans sur son exploitation du « Retour aux Sources », Pascal assume « n’avoir connu qu’une seule bonne année ». La sortie de crise sanitaire a vu les consommateurs revenir en masse dans les grandes surfaces alors qu’ils avaient pris le parti à l’époque de faire leurs emplettes chez les producteurs. « On ne peut pas lutter contre les grandes enseignes. Elles vous font croire que leurs produits sont moins chers chez eux que chez nous directement, mais c’est totalement faux. En cinq ans, j’ai augmenté mes produits de 20 centimes, c’est rien comparé à nos charges, il nous faudrait bien plus en réalité. Et puis quand on voit arriver des produits bio étrangers dans les grandes surfaces, je suis vraiment perplexe sur la quantité de normes que peuvent avoir leur production par rapport aux nôtres.»

Pour répondre à cela, le Premier ministre Grabiel Attal a annoncé la semaine dernière une série de mesures d’urgence pour répondre en théorie à la détresse des agriculteurs. Un « bon début » pour Pascal qui en attend quand même plus, « car le principal problème reste le revenu agricole, on n’arrive pas à dégager assez de marges pour avoir un revenu. Il faut aussi que les normes françaises soient harmonisées avec les normes européennes. Il faut rapidement remettre en cause le modèle agricole, sinon, quand on partira tous à la retraite, plus personne ne voudra de nos terres. » Venons-en au fait, si Pascal a pu augmenter son chiffre d’affaires en 2022 avec la vente en ligne, ses revenus, eux restent en deçà du Smic, 960€ pour être précis. « Sur ça, la moitié part dans l’investissement sur la ferme et pour payer une salariée qui travaille une demi-journée par semaine. En réalité, j’ai autour de 500€ gagnés pour ma poche chaque mois. Tout cela alors que les charges n’ont pas fini de gonfler. Je suis passé de 68 000€ de charges d’exploitation, à 91 000€ et je pense que pour cette année, on va dépasser les 100 000€ », argue-t-il. En cause, l’augmentation globale des coûts des engrais, des semences, des céréales, des emballages, du gazole non-routier (GNR), de la couverture sociale etc… Une somme dérisoire comparée à l’investissement du métier de producteur, dont Pascal ne compte plus les heures. « La vérité, c’est qu’aujourd’hui, mon épouse qui travaille à l’extérieur me permet de me nourrir, moi je ne peux pas. »

Ajoutez à cela une administration des plus complexes pour les agriculteurs : « On a des montagnes de papiers, c’est phénoménal. En matière d’administration, c’est de la folie. Plus personne ne sait rien, on nous balance d’un service à un autre, cède-t-il. Au niveau de la PAC (Politique agricole commune), je suis obligé de faire appel à la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne et payer des techniciens pour nous la remplir, parce que c’est devenu trop compliqué. D’ailleurs, en bio, cette même PAC nous offrait un bonus qu’on nous a enlevé en 2023, donc j’ai perdu 160€ pour chaque hectare. On peut aussi recevoir des subventions de la Région, mais là encore, c’est terrible. J’ai refait le toit de mon hangar cette année et depuis avril j’attends 11 000€ alors que j’ai payé l’artisan fin novembre. Cela impacte ma trésorerie et me freine dans mon activité. Il faut toujours plus pour s’en sortir ». De plus, début mars, 20 000€ seront prélevés sur les comptes de Pascal alors que sa trésorerie en compte 24 000€.

Avancer dans le flou

Si les chiffres ne sont pas au beau fixe, le blues du paysan ne s’est pas totalement emparé de Pascal, qui voit la passion et la nécessité de son métier comme des axes forts pour lui donner motivation et courage de poursuivre son activité. Toutefois, l’homme de 56 ans ne se voile pas la face et assume que l’avenir lui est encore inconnu. « Si je ramène mon salaire au nombre d’heures que je fais, il faudra une catégorie en dessous du seuil de pauvreté. Mon premier projet serait d’employer quelqu’un à temps plein mais je ne peux clairement pas me le permettre. Pour l’instant, je n’arrive pas à l’anticiper l’année à venir. Aujourd’hui j’aurai dû semer 20 à 25 hectares de blé entre novembre et fin décembre et je n’ai rien fait, Le temps ne s’y prête pas. Si au 10 février, je n’ai rien semé, je ne produirai rien, et je ne sais pas combien de temps je pourrai survivre comme ça ».

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