Quidam Hebdo : Vous êtes président de l’association « Du Lot-et-Garonne aux Grandes Écoles », rattachée à la fédération nationale « Des Territoires aux grandes écoles ». Comment vous est venue l’envie de vous lancer dans la création de cette section lot-et-garonnaise ?
Nathan Maurel : Ce qui m’a donné envie de me lancer, c’est mon parcours parisien. Après le bac, j’ai choisi de me rendre directement à Paris plutôt que de rejoindre Bordeaux ou Toulouse, comme le font beaucoup des étudiants lot-et-garonnais. À Palissy, nous étions peu nombreux à prendre cette décision. C’est là-bas que j’ai pris conscience de la chance qui m’était offerte, à la fois d’intégrer une filière sélective, avec une double licence en histoire et science politique à l’Institut catholique de Paris, et de vivre dans un environnement stimulant, tant sur le plan intellectuel, notamment en tant qu’étudiant en histoire, que professionnel. C’est à ce moment là que je me suis vraiment attaché à mon territoire d’origine. Ce projet germe en moi depuis mes années de licence, mais j’ai dû retarder sa concrétisation en raison du temps que cela exigeait, entre les cours et autres engagements. Il y a deux ans, j’ai enfin pris l’initiative de le lancer, en m’appuyant sur mon réseau proche, et le lancement a été un succès, avec désormais une douzaine de membres dans le bureau.
Q.H : Votre association participe à promouvoir l’accès aux grandes écoles auprès des lycéens du département. Lors de vos interventions, ressentez-vous un manque de légitimité de ces mêmes jeunes à prétendre aux grandes études ?
N.M. : Absolument. C’est précisément pour cette raison que nous avons fondé l’association. Elle s’inscrit dans une vision globale d’égalité des chances. En théorie, le principe républicain qui guide notre pays stipule que chaque individu, indépendamment de sa situation sociale ou géographique, doit avoir les mêmes opportunités de réussir sa vie et d’accéder à l’offre de formation qui lui convient, en fonction de ses capacités. C’est ce que nous appelons la méritocratie. Mais dans la pratique, selon un rapport de l’Institut des politiques publiques de 2021, un lycéen du Lot-et-Garonne a trois fois moins de chances qu’un lycéen parisien d’accéder aux grandes écoles, et ce chiffre monte à dix-huit fois pour intégrer le top 10 des écoles les plus sélectives. C’est cette disparité qui a motivé la création de notre association.
Q.H : Avez-vous identifié des freins particuliers ?
N.M. : Nous avons identifié trois obstacles principaux. Le premier est l’auto-censure dont nous parlions précédemment. Nous estimons que certains lycéens se sous-estiment et se persuadent qu’ils ne sont pas capables de suivre des filières sélectives, prestigieuses ou éloignées.
Le deuxième obstacle est le manque d’information, et c’est là que le rôle des associations prend toute son importance. Nous croyons fermement que l’information est la clé pour éclairer les choix d’orientation post-bac. Actuellement, il est difficile pour les lycéens de comprendre ce que recouvrent réellement les intitulés de formations. Notre objectif est donc de partager nos témoignages et nos expériences pour fournir des réponses concrètes : qu’implique réellement une licence en termes de charge de travail, de rythme, de perspectives de stages et d’emplois ? Malgré les efforts déployés par les enseignants, les services de l’État, et les salons de l’orientation, nous constatons un réel manque d’informations concrètes et actualisées dans ce domaine.
Le troisième obstacle, qui est également le plus ardu à surmonter, concerne les finances. En fin de compte, malgré une bonne information et une absence d’autocensure, le critère déterminant reste le porte-monnaie. Notre action à court terme consiste donc à fournir des informations financières sur les aides disponibles, sur les dispositifs pouvant être cumulés, et sur les moyens permettant de suivre une formation qui nous passionne sans avoir à contracter de crédit. Nous abordons ainsi des sujets tels que l’apprentissage, les aides au logement, les bourses, ainsi que le mécénat privé avec des fondations finançant des études pour des étudiants issus de milieux moins favorisés ou de régions économiquement défavorisées.
Q.H : Le dernier frein semble difficile à lever…
N.M : L’objectif à moyen-long terme que je me suis fixé pour l’association est de réfléchir à la mise en place d’aides financières sous forme de bourses basées sur des critères sociaux et de mérite. Si en tant qu’acteur associatif moderne, nous parvenons à surmonter ces trois obstacles, je crois que nous serons véritablement comblés. Dans la fédération, ce sont les entités les plus anciennes qui ont réussi à concrétiser cette idée. Par exemple, dans le Pays Basque, une association existant depuis 10 ans a mis en place une vingtaine de bourses par an, étalées sur 3 ans et d’une valeur totale de 6000€ chacune, ce qui représente une aide significative.
Pour concrétiser ces bourses, il est nécessaire d’avoir les fonds nécessaires. Cela implique de rechercher des partenaires qui ont confiance en nous et qui sont prêts à nous accompagner sur le long terme en matière de financement. Aujourd’hui, c’est tout le travail que nous réalisons en collaboration avec notre partenaire, la CCI 47. Nous nous sentons soutenus, d’autant plus que nous ne disposons pas du carnet d’adresses des entreprises du département. De leur côté, cela correspond à leur volonté de mettre en avant les entreprises locales innovantes, souvent méconnues du grand public
Q.H : Il y a l’enjeu donc de soutenir les jeunes dans leurs volonté d’aller faire des grandes études si ils le souhaitent mais n’est-ce pas aussi prendre le risque de ne pas les voir revenir ?
N.M : Je le répète et je le martèle, nous ne sommes pas une association de fuite des cerveaux. Le retour au territoire, c’est un peu mon dada personnel j’avoue. L’association a cette envie de faire revenir les jeunes qui se sont formés sur le territoire.
Tout ça vient d’une réflexion que j’avais eue en stage à Paris. Je me disais on parle beaucoup de manque d’attractivité, de ruralité, et quand on y est attaché, on se dit que c’est bien beau de faire des plans dans des beaux bureaux mais concrètement, qu’est-ce qu’on peut faire ? Je pense que notre discours est un peu bancal quand on dit « allez-vous former en dehors du Lot-et-Garonne et on verra après. »
Il ne faut pas s’arrêter là. Il faut dire, au moins, partez pour mieux revenir. En tout cas qu’il s’agit d’une possibilité qui existe. Il faut aussi donner l’information aux étudiants et aux jeunes actifs sur le fait qu’il y a des possibilités de stages, d’apprentissage et d’emplois en Lot-et-Garonne. L’observation que je tire à titre personnel, c’est que la scolarité n’est pas assez ouverte sur l’environnement immédiat des étudiants. On sort très peu des lycées. On montre très peu aux lycéens quelle est la finalité de leur présence à l’école, c’est quand même un sujet hyper préoccupant.
Q.H : Qu’essayez vous de mettre en place pour, justement, faire découvrir cet environnement immédiat ?
N.M : Deux initiatives essentielles sont à souligner : tout d’abord, en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), nous proposons le Pass Métier, qui offre aux lycéens la possibilité d’effectuer un stage de maximum 5 jours dans le département, auprès de tout employeur agréé par la CCI. Ces stages, réalisés pendant les vacances scolaires, leur permettent de découvrir différents métiers et structures. Bien que cela puisse sembler minime, mon expérience montre que c’est grâce à ces stages que nous comprenons la finalité de notre présence à l’école et que nous nous construisons professionnellement.
Ensuite, nous organisons des visites d’entreprises une fois par an, bien que cela soit assez complexe sur le plan logistique. L’année dernière, nous avons eu l’opportunité de faire découvrir l’entreprise Goupil à des lycéens. Cette expérience a été enrichissante car elle leur a permis de découvrir une Entreprise de Taille Intermédiaire (ETI) comptant une dizaine de salariés, avec une activité internationale significative. Nous avons pu leur présenter une variété de métiers passionnants, tels que ceux en communication, en ressources humaines, ou encore en ingénierie.
Q.H : Et dans quelques années, que souhaiteriez-vous pour l’avenir de votre association ?
N.M : Moi, mon rêve, c’est de partir dans quelques temps, en sachant que les fondations de la maison sont solidement établies et que tous les lycéens du département pourront s’approprier les bases que nous jetons aujourd’hui.
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