Didier Bergen : « L’Albret Jazz, c’est vivre des moments incroyables »

C’est le maestro de l’évènement jazz désormais incontournable du Lot-et-Garonne. Didier Bergen fait chaque année du cousu-main pour proposer une programmation cinq étoiles lors de l’Albret Jazz Festival. Entretien avec le directeur artistique qui veut réunir les générations autour du jazz (mais pas que). 

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Q.H : Cette année avait lieu la quatrième édition de l’Albret Jazz festival, comment ça s’est passé ? Peut-on avoir un petit bilan ? 

Didier Bergen : Le festival s’est bien passé malgré la météo. Vendredi et dimanche, il a plu, mais le samedi, grand soleil pour Earth Rain Fire Experience, un groupe que je ne voyais pas jouer en salle. Le nombre de festivaliers a augmenté malgré la pluie, ce qui est génial. On a eu 15 concerts sur 2 scènes pendant 3 jours, et le public était au rendez-vous avec environ 4500 à 4800 personnes sur tout le week-end, un très beau succès.

Q.H : On parle de Earth, Wind and Fire. Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une montée en gamme chaque année dans ce festival ? 

D.B : Concernant la montée en gamme, je dirais plutôt qu’on améliore la qualité tout en gardant une taille humaine. Le festival se déroule au parc de la Garenne à Nérac, un site magnifique prêté par la mairie. L’idée est de maintenir un événement à taille humaine, avec de beaux artistes internationaux, tout en restant convivial et accueillant. C’est un des plus grands petits festivals : ambitieux artistiquement tout en gardant une proximité avec le public.

Q.H : Quelle est la meilleure recette d’une bonne programmation ? 

D.B :  Ce qui attire le public, c’est la programmation, même si le jazz n’est peut-être pas le genre le plus populaire aujourd’hui. Mais le jazz ici est un mot générique. Il englobe plusieurs styles comme le blues, la soul, le funk, et même la bossa nova. Earth, Wind & Fire, par exemple, n’existerait pas sans le jazz. Le jazz, pour moi, c’est une attitude, une énergie festive. Je sais que certains puristes ne seront pas d’accord, mais je préfère ouvrir le jazz, lui faire exploser les frontières dans un monde où on a tendance à tout catégoriser.

Ma recette repose sur la musique noire américaine, celle qui m’a bercé dans mon enfance. J’ai grandi avec du blues et j’ai découvert le jazz plus tard. Quand on commence à explorer le jazz, on trouve plein de rythmes et d’énergies. Je travaille à l’instinct. Je suis comme un chef cuisinier : je dose les ingrédients et j’ajuste. Pour une bonne programmation, il faut de la variété, du rythme, une parité homme-femme, et surtout de l’émotion. C’est l’émotion qui fait qu’un festival fonctionne.

Q.H : On peut dire que chaque édition est fondamentalement différente ? 

D.B :  Totalement. Chaque édition est différente. Cela dépend de beaucoup de choses, notamment de mes émotions du moment et des attentes des festivaliers. Cependant, je ne leur offre pas exactement ce qu’ils attendent, car j’aime les surprendre. C’est cette surprise qui me motive, car je veux interpeller les gens. Bien sûr, il est important d’avoir des têtes d’affiche, les « locomotives », pour attirer le public. Mais ce qui m’importe le plus, ce sont les artistes de la scène du village. Ces artistes, bien que moins connus, sont tout aussi talentueux, et c’est sur cette scène que je concentre mon attention.

Pour moi, organiser un festival, c’est un peu comme préparer un plat de cuisine. Il faut un équilibre entre saveurs et textures. Chaque élément compte, chaque artiste doit apporter quelque chose de particulier. Ce n’est pas une question de choisir les artistes en fonction de leur coût ou de leur popularité, mais bien de ressentir une connexion avec eux.

Q.H : Qu’est-ce-qui vous a emmené à faire le choix de Nérac pour lancer ce festival à l’époque ? 

D.B : Concernant Nérac, c’était un peu le fruit du hasard. Entre 2012 et 2018, j’étais directeur artistique d’All that Jazz à Agen. Nous y avons accueilli de nombreux artistes internationaux. C’était une belle période, et c’est durant cette période que j’ai rencontré Michel Dussault, avec qui j’ai noué un partenariat. Il organisait des dîners gastronomiques pour les clients All that Jazz, suivis de concerts. Lorsque la salle a fermé, cela a ouvert la voie à l’organisation du festival à Nérac.

Les invités assistaient au concert en carré VIP et rencontraient des artistes comme Kylie Stewart ou Stacy Kent. Après le concert, ils reprenaient le bus, rentraient, puis reprenaient leur voiture. Ces soirées tout inclus étaient très populaires, remplissant à chaque fois des bus de 50 personnes. Le concept, « All That Jazz », fonctionnait bien à Agen. J’adorais y faire des concerts, car le public était enthousiaste chaque mois. Quand CGR a racheté tout, ils n’ont pas souhaité reprendre le concept, et tout s’est arrêté.

Après le Covid, Michel Dussault m’a appelé. Il travaillait avec l’office de tourisme de l’Albret pour organiser des concerts dans des châteaux, et ils voulaient renforcer l’événement. Michel m’a recommandé. J’ai d’abord assisté à une session d’Albret Jazz dans les châteaux pour en analyser les points forts et faibles. Cela a conduit à l’idée d’un festival. Après avoir visité plusieurs lieux, j’ai eu une révélation au Parc de la Garenne. J’y ai vu un village avec une scène, un théâtre de verdure, tout était en place.

Q.H : André Manoukian était le parrain de la première édition, il est revenu pour se produire pour la quatrième. Pouvez-vous nous parler de cette belle amitié que vous avez avec lui ? 

D.B : C’est un ami proche, a été le parrain de All that Jazz dès sa création en 2009. Il avait accepté mon invitation avec enthousiasme, trouvant le concept unique. Il a participé à plusieurs de mes événements, et nous avons tissé une véritable amitié. Un jour, lors d’un dîner, je lui ai suggéré de faire un spectacle seul en scène. Trois ans plus tard, il m’a invité à son spectacle « Les notes qui s’aiment », qu’il avait créé grâce à cette idée.

André est très accessible. Lors d’un concert, il a mis une demi-heure pour parcourir 30 mètres entre sa loge et les dédicaces, tant il était sollicité par les fans.  C’est un homme de défis, et cela me motive aussi. J’aime avoir des projets, car sans eux, je n’aurais plus rien à faire. Mon plus beau projet est toujours le prochain, car il bénéficie de l’expérience des précédents. C’est ce défi constant qui m’anime.

Q.H : Aujourd’hui, il n’y a plus de doutes sur le fait que l’Albret Jazz Festival à encore de beaux jours devant lui. Que pouvez-vous nous glisser sur celui de l’an prochain ?

D.B : Concernant la prochaine édition du festival, je suis attentif aux retours des festivaliers, mais je tiens à conserver l’identité du festival, axée sur le jazz, le blues, la soul, et leurs variantes. Bien que j’apprécie la diversité, je refuse de diluer cette signature artistique en programmant des artistes éloignés de cet univers. Si nous nous concentrons uniquement sur ce qui est « bankable », l’émotion disparaît. Mon but est l’équilibre financier, mais pas de viser des profits démesurés, même avec les subventions, que je remercie au passage.

La programmation se prépare longtemps à l’avance, notamment pour s’inscrire dans les tournées des artistes. Je réfléchis déjà aux concerts de l’an prochain avant même la fin de l’édition en cours, en veillant à varier les styles pour toucher un public large tout en restant cohérent. J’ai un carnet où je note toutes mes idées et où je place chaque artiste dans le festival le plus approprié. Pour l’Albret Jazz Festival, j’ai déjà deux belles propositions artistiques pour le théâtre de Verdure et environ la moitié du programme du village est prête.

Je fais en sorte de voir les artistes en live avant de les programmer, car la scène révèle leur véritable talent. On peut aujourd’hui transformer n’importe qui en star grâce à la technologie, mais l’émotion sur scène ne peut pas être truquée. Voir les artistes sur scène, c’est un bonheur que je veux partager avec le public.

Q. H : Nous ne pourrions pas terminer cet entretien sans un petit conseil musical. Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ? 

D.B : En ce moment, j’écoute Stella Cole, une incroyable chanteuse américaine, ainsi que Jamie Cullum, un artiste hybride fantastique capable de toucher plusieurs générations. Je découvre constamment de nouveaux talents sur Spotify. Mes goûts musicaux sont très variés, tout comme les émotions qu’ils suscitent, un peu comme le choix d’une tenue ou d’un plat. La musique, c’est de la vie et de l’émotion. Venez à l’Albret Jazz Festival, vous vivrez des moments incroyables.

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