Economie : Agen Habitat, une stratégie qui pose question

L’office public de l’habitat (OPH) de l’Agglo d’Agen rencontre actuellement des difficultés financières dues à une conjoncture défavorable mais pas uniquement.

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Les temps sont durs pour les collectivités et les organismes publics. Pour améliorer la situation budgétaire du pays, des efforts plus importants leur sont demandés ou imposés via des dotations en baisse ou de nouvelles taxes. Les bailleurs sociaux n’y échappent pas. L’État leur fait notamment compenser la baisse des aides au logement (APL) en leur faisant supporter un autre dispositif : la Réduction des loyers de solidarité (RLS). L’inflation dans le secteur du bâtiment n’arrange rien. De nombreux offices publics rencontrent des difficultés. C’est notamment le cas d’Agen Habitat. Le bras armé de l’Agglo d’Agen en matière de logement social, mal- gré un bilan à l’équilibre, voit sa trajectoire financière se dégrader à vitesse grand V. À tel point qu’une aide a été demandée à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS). Ce fonds, alimenté par les cotisations des bailleurs, est justement là pour aider les structures en difficulté. Mais cela ne se fait pas sans contrepartie. L’office, sa collectivité de rattachement et la CGLLS doivent chacun apporter un tiers du montant jugé nécessaire au redressement. On parle ici d’au moins une dizaine, si ce n’est une quinzaine de millions d’euros sur la décennie. Cela impliquerait donc des ventes de patrimoine de la part d’Agen Habitat et de grosses ré- ductions de dépenses ainsi qu’une rallonge considérable de la part de l’Agglo. Autant dire qu’il ne s’agit pas là d’une bonne nouvelle… si bien sûr le protocole est signé, ce qui n’est pas encore le cas.

L’État a sa part de responsabilité

Comment en est-on arrivé à cette situation ? Plusieurs éléments sont à prendre en compte. La Réduction des loyers de solidarité représente une perte annuelle avoisinant le mil- lion d’euros, soit 7% des recettes. Agen Habitat se prépare aussi à perdre l’exploitation de la partie résidentielle de l’Enap avec la fin du bail emphytéotique à l’été 2025. Ces quelque 850 logements rapportent eux aussi environ 1 M€ net. Un coup dur à avaler mais ce dernier était prévisible depuis longtemps. Pourtant, les élus agenais n’ont pas semblé prévoir d’alternative.

Des rénovations (trop) coûteuses

Plus généralement, c’est la stratégie d’Agen Habitat qui pose question. L’Ancols, l’Agence nationale de contrôle du logement social, audite les organismes à intervalle régulier. Et cela ne date pas d’hier. Dans le rapport portant sur l’année 2017, ce gendarme tenait les propos suivants :

« Face aux enjeux patrimoniaux aux- quels est confronté l’office, sa stratégie actuelle de réhabilitations à un coût parfois très élevé, de ventes massives, assorties d’un développement modeste et en retrait ces dernières années, manque de cohérence et de mise en perspective à moyen terme. » Les choses ont- elles évolué depuis ? La réponse est non. À la fin de l’année qui vient de s’écouler, un nouveau rapport de contrôle portant sur la période 2018-2022 a été livré aux administrateurs de l’office avec des observations confirmant ce qui a déjà été dit. « Artisan de la vente HLM de- puis de nombreuses années, l’OPH connaît une décroissance de son parc, les livraisons de nouveaux logements ne compensant pas les ventes de logements anciens. Si ce constat n’était pas problématique dans un contexte de demande atone et de priorité donnée à la requalification du parc existant, il devient davantage inquiétant au regard de la réponse aux besoins d’un nombre accru de demandeurs de logement et de la nécessité pour l’OPH d’augmenter ses ressources propres. »

Le manque de programmes nouveaux

Ce qui est en substance reproché à Agen Habitat : le fait de miser presque exclusivement sur les ventes et les réhabilitations sans assurer le développement de pro- grammes nouveaux. Philosophiquement, cette posture s’entend. D’un point de vue économique, c’est beaucoup plus discutable. Pour avoir un chiffre d’affaires en hausse, c’est mécanique, il faut construire plus qu’on ne vend. Dans le cadre de la prospective Agen 2030, l’ex-DG Joël Le Goff disait lui- même « que les réserves financières constituées grâce aux ventes réalisées ces dernières années, nous permettent et même nous obligent à augmenter la cadence de production ». Des promesses qui n’ont pas été suivies des faits. Les rénovations du parc ancien sont

certes nécessaires mais elles sont aussi onéreuses sans pour autant générer des recettes supplémentaires puisqu’il n’y a pas de locataires supplémentaires. Cela pour- rait être le cas sur des sites souffrant d’une forte vacance et d’un défaut d’attractivité mais ce n’est pas le mal dont souffre Agen Habitat qui affiche complet presque partout. À Montanou, la dernière grande opération à plus de 13 M€, avait même été suivie d’une vacance en hausse. Si celle-ci s’est améliorée depuis, c’est notamment la conséquence de l’accueil de réfugiés ukrainiens. Sans ces évènements géopolitiques dramatiques, les chiffres n’auraient pas connu une telle progression.

Le cas Rodrgiues sous-estimé

La vague de réhabilitations n’est pas près de s’arrêter, avec un très gros morceau au menu : la cité Rodrigues et ses 340 logements. Là encore, la démarche vis-à-vis des locataires est très louable. Cependant, le coût est-il compatible avec la situation de l’office ? L’An- cols déplore le fait que le montant des travaux pour le traitement des ensembles immobiliers du quartier Rodrigues ait été « sous-estimé » dans les projections financières initiales : 26 M€ au lieu de 15… Une différence non négligeable qui au- rait peut-être nécessité d’attendre un peu. Avant le lancement de cette réhabilitation d’ampleur, les appar- tements étaient classés D ou E pour les plus mal isolés. Des étiquettes qui ne rentrent officiellement pas dans la catégorie des passoires thermiques ou des logements indécents selon les critères de l’État. Le degré d’urgence restait ainsi très relatif. D’aucuns diront que cela reste le rôle social de l’office doublé d’une promesse de campagne de la municipalité. Mais comment fera-t-il à long terme pour poursuivre cette mission si la faillite pointe le bout de son nez ? La question mérite d’être posée car cette perspective n’est pas totalement inenvisageable.

Des coûts de gestion élevés

Certaines données illustrent bien le problème du bailleur social age- nais. Ses coûts de gestion sont par exemple très supérieurs (environ une fois et demi) aux valeurs de référence et en augmentation qua- si continue. En 2022, le montant a atteint 1424 €/logement alors qu’il devrait être en-dessous de 1072 €. La masse salariale, en équivalents temps-plein par nombre de loge- ments, est aussi trop élevée par rap- port à la normale malgré une baisse de 16% des effectifs en cinq ans, reconnue par l’Ancols. « Ce constat illustre la situation d’un organisme de taille réduite dont les charges de structure ne peuvent être rap- portées à un nombre de logements suffisant. » La taille du parc, encore et toujours, s’impose comme un élément clé du pilotage financier.

« L’analyse financière prévisionnelle montre que sans interventions extérieures permettant l’apport de nouvelles ressources financières et sans pouvoir s’endetter davantage, l’office se trouverait dans l’incapacité de financer ses investissements futurs. » Dans le détail des chiffres projetés pour les années à venir, la capacité d’autofinancement de dégraderait très rapidement en passant sous le seuil réglementaire tandis que le fonds de roulement net global deviendrait négatif à partir de 2028 pour atteindre -4.7M € en 2032. Les éléments financiers sont jugés « alarmants ». Les ventes pourront combler ponctuellement le déficit mais ne règleront pas, voire aggraveront le problème structurel. Plus les difficultés vont croître, plus il sera compliqué pour Agen Habitat de lancer de futurs chantiers alors que les besoins se font déjà sentir, notamment en première et seconde couronne d’Agen. Attention donc à ne pas tomber dans un cercle vicieux…

Ce qu’ils en disent //

Jean Bizet, directeur général d’Agen Habitat depuis 2021

« La sollicitation de la CGLLS s’est faite dans une démarche préventive. On ne signera de protocole tripartite avec eux que si on en a vraiment besoin et si les conditions imposées sont acceptables. Sur la question des réhabilitations, il faut bien comprendre que la durée de vie du patrimoine n’est pas illimitée, d’où la nécessité de rénover. Rodrigues est le der- nier gros chantier de la ville. Montanou, Bajon, Barleté, Paganel ont déjà été faits. Et c’est une bonne chose car ceux qui n’ont pas engagé ces opérations le seront bientôt à cause de la réglementation sur les passoires énergétiques. Les administrateurs ont eu le nez creux de privilégier cet axe. Il y aura quand même aussi des constructions neuves avec une soixantaine de logements qui seront livrés en 2026. Sans cette histoire de RLS imposée par l’État, on ne parlerait pas des difficultés d’Agen Habitat. »

Thomas Bouyssonnie, président d’Habitalys
(associé avec Agen Habitat au sein d’une société de coordination)

« La santé financière d’Agen Habitat est un sujet de préoc- cupation pour nous, en tant que partenaire d’Agen Habitat avec des projets communs. La communication du directeur semble être rassurante mais on a quand même des alertes significatives. De ce que je comprends, le risque de ces- sation de paiement à terme est bien réel. Le problème des recettes nouvelles n’a mal- heureusement pas beaucoup de solutions. Vendre une par- tie du parc, c’est prendre le risque de s’appauvrir par la suite. Les réhabilitations des vieux ensembles sont néces- saires… à condition de pou- voir le faire sans se mettre en danger. »

Les autres bailleurs sociaux sont-ils dans la même situation ?

« Sans cette histoire de RLS imposée par l’État, on ne parlerait pas des difficultés d’Agen Habitat. » Cette phrase de Jean Bizet, le DG d’Agen Habitat laisse supposer que cette mesure impactant directement les recettes est seule responsable de la situation. Dans ce cas, tous les autres offices publics devraient rencontrer les mêmes difficultés. En regardant chez le confrère départemental Habitalys, ce n’est pourtant pas ce que l’on observe. Les projections financières jusqu’en 2032 font état d’une amélioration constante de tous les indicateurs (chiffre d’affaires, excédent brut d’exploitation, capacité d’autofinancement). Le fonds de roulement sera même quatre fois supérieur au seuil d’alerte. Cette différence réside entre autres dans la politique patrimoniale. Là où le parc d’Agen Habitat diminue (-1,2% de logements en six ans), celui d’Habitalys augmente de 1,31%… chaque année ! Cette progression n’empêche pas l’Ancols de décrire la prévisionnelle financière de l’office départemental comme « crédible tout en restant prudente dans ses projections ». « L’organisme dispose de marges de manœuvre financières qu’il pourrait consacrer à un accroissement de son ni- veau d’intervention en maintenance et en requalification de son parc existant », complète le dernier rapport de contrôle, livré en même temps que celui du bailleur agenais. Économiquement, Habitalys ne suscite aucune inquiétude quant à son devenir et subit malgré tout la fameuse RLS si décriée…

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